Il est une forme de patrimoine religieux qui échappe habituellement aux inventaires et aux études par sa nature privée et sa présence discrète, quoique fort répandue : les niches à la Vierge ornant les propriétés rurales.
Phénomène paradoxal, ces manifestations de la piété populaire perdurent et ne semblent pas près de disparaître, alors que les églises sont vides. Dans certaines régions, dont celle où j’habite (la campagne entourant Louiseville, en Mauricie), ces petites niches abondent et sont jalousement préservées par leurs propriétaires. Il est d’ailleurs difficile d’en trouver sur le marché d’occasion, et les rares spécimens revendus sont assez chers. Faut-il y voir un attachement sentimental, un héritage familial, une simple décoration? Ou s’agit-il réellement de l’expression personnalisée d’une foi sincère? C’est peut-être un peu de tout cela à la fois.
Pour le savoir, il faudrait procéder à une enquête de terrain. Au Québec, les historiens et les ethnologues ont recensé plus systématiquement les croix de chemin, les calvaires et les chapelles de procession[1]. Les grottes à la Vierge aménagées dans les noyaux paroissiaux sont également un peu mieux documentées. Dans les dernières années, une artiste résidant dans mon coin de pays (Marie-Jeanne Decoste) s’est intéressée aux niches mariales au point de produire plusieurs œuvres s’en inspirant, une exposition thématique et même un inventaire photographique de ces objets.
Malgré l’abandon de la pratique religieuse par les masses, la figure protectrice de la Vierge conserve une forte influence sur les esprits. Symbole par excellence de la pureté, du beau, du bon et du bien, la « belle dame », comme l’appelaient les enfants de Fatima, est invoquée dans une prière silencieuse par ces monuments : « Vierge Marie, protégez ma maison et ceux qui me sont chers ». En attendant le retour du Québec à la foi, Marie continue de veiller sur le territoire, son effigie se retrouvant parfois là où on l’attend le moins…mais où on a besoin d’elle.
Modèles typiques et particularismes
La forme la plus répandue de niche à la Vierge, du moins d’après mes observations pour le centre du Québec, est constituée d’une niche cintrée abritant une statue, le tout en béton. Dans la plupart des cas, la Madone prend la posture de la Médaille miraculeuse, c’est-à-dire les bras ouverts, la tête légèrement baissée. Toutefois, certaines niches comportent une statue de Notre-Dame de Lourdes (les mains jointes), de Notre-Dame du Cap (couronnée, son Cœur immaculé sur la poitrine) ou même une statue de sainte Anne ou du Sacré-Cœur. Un modèle de niche en particulier semble avoir été produit en quantité industrielle[2] et probablement vendu en béton brut, l’acheteur pouvant le peindre et le personnaliser à sa guise. Certaines niches sont accompagnées de statuettes d’anges ou d’autres composantes complémentaires.
Plusieurs statues sont également placées sous un édicule vitré, le plus souvent illuminé le soir par une ampoule électrique. Ces petits sanctuaires domestiques sont presque toujours agrémentés de fleurs ou placés au cœur d’un aménagement paysager mettant la niche en valeur.
Enfin, il existe les fameuses niches home made, faites avec une vieille baignoire en fonte renversée et à demi enterrée dans le sol. Cette forme aurait vu le jour dans les années 1950, alors que les habitants de la campagne modernisaient leur plomberie de salle de bain et délaissaient les anciennes baignoires de l’époque victorienne[3]. Ces niches témoignent donc d’une certaine créativité mise au service de la piété.
Ailleurs dans le monde
Naturellement, partout où il y a des catholiques, il y a des statues de la Vierge Marie. Les aménagements entourant les statues prennent cependant plusieurs formes, selon la culture et l’histoire locales. Ainsi, en Europe, les niches mariales sont souvent très anciennes, et creusées à même les murs extérieurs des bâtiments; c’est notamment le cas en France et en Italie. Je pourrais me tromper, mais la pratique consistant à ériger une niche mariale sur la pelouse près de la maison semble vraiment être un trait culturel nord-américain.
Aux États-Unis, ces petits sanctuaires se sont d’ailleurs vus appeler par certains lawn shrines (littéralement « châsses de pelouse »)[4], et les bathtub Marys (« Maries-baignoires » … ou bain-Marie?) pourraient avoir été inventées là-bas. Considérées comme de l’Americana authentique, elles se retrouvent dans certaines régions du pays, notamment dans des enclaves catholiques de la fameuse Bible Belt, surtout protestante. Il pourrait également subsister quelques niches dans les États de la Nouvelle-Angleterre jadis habités par des milliers de Canadiens français.
Appel aux lecteurs
Je suis toujours intéressée à découvrir de nouvelles niches mariales et de nouvelles informations à ce sujet. Je fais donc ici un appel aux lecteurs qui posséderaient de la documentation relative à cette pratique : informations sur les fabricants, sur les origines de cette coutume au Québec, anecdotes, photos de niches au Québec et ailleurs dans le monde, etc. N’hésitez pas à me partager vos trouvailles et vos connaissances, et je pourrai en faire bénéficier les autres par ce blog, avec une suite à cet article ou un autre billet.
[1] Voir notamment les travaux de Jean Simard, dont L’art religieux des routes du Québec.
[2] J’en ai remarqué des dizaines seulement dans un rayon de quelques kilomètres autour de ma maison.
[3] Voir cet intéressant article traitant du même phénomène aux États-Unis : https://www.sfgate.com/travel/article/Kentucky-s-Bathtub-Marys-homespun-lawn-shrines-2310092.php#photo-1818062
[4] Idem.
1 commentaire
Solange.
20 août 2022 à 10 h 29 minMerci pour ce texte que j’ai trouvé bien intéressant…