Statues et monuments

Les monuments au Sacré-Cœur, ex-voto collectifs

Exposés au regard curieux ou indifférent des passants d’aujourd’hui, les monuments au Sacré-Cœur témoignent depuis cent ans de la confiance de nos prédécesseurs en la divine Providence. La figure du Christ présentant son cœur enflammé au monde a agi comme un signe puissant de ralliement au milieu des épreuves du XXe siècle, principalement la Grande Guerre et la grippe espagnole.

Ainsi, à partir du début de la Première Guerre mondiale et jusqu’à la fin des années 1930 environ, la plupart des paroisses se dotent d’un monument au Sacré-Cœur plus ou moins imposant. Souvent érigées à l’aide de souscriptions populaires et dévoilées lors d’événements de grande envergure, ces statues sont presque toujours des ex-voto, c’est-à-dire un hommage ou un signe de reconnaissance à une figure vénérée (ici le cœur sacré de Jésus). Des inscriptions gravées sur le socle, qui remercient le Sacré-Cœur pour avoir protégé les fils de la paroisse lors de la guerre, par exemple, en font foi. Certains messages sont de simples prières gravées dans la pierre : « CŒUR SACRÉ DE JÉSUS BROYÉ PAR NOS PÉCHÉS, SAUVEZ-NOUS ».

Une dévotion ancienne

Pourquoi cette pratique se répand-t-elle massivement à cette époque précise, et pas avant? En raison de la guerre seulement? En fait, le culte au Sacré-Cœur, symbole de l’amour infini du Christ pour l’humanité, est une dévotion très ancienne dont vous pouvez avoir un aperçu notamment ici et ici. Dans la souffrance, le cœur de Jésus, source de miséricorde, est invoqué pour recevoir apaisement et protection : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 28-29).

C’est cependant à la fin du XIXe siècle que ce culte devient très populaire, notamment avec la construction de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre et la publication de l’encyclique Annum Sacrum (1899) par le pape Léon XIII. Une production artistique abondante se développe autour de ce thème. On représente parfois le cœur seul, entouré d’épines et surmonté de flammes. D’autres images illustrent le Christ en buste, pointant son cœur, ou Jésus debout, les bras ouverts dans un geste d’accueil universel. Les petites images du Sacré-Cœur peintes au début des années 1900, à l’esthétique surannée, peuvent être considérées comme une sorte d’icône de la piété populaire du monde catholique de l’époque.

Une production spécialisée

L’existence d’ateliers d’art, de fonderies et de firmes spécialisées dans la fabrication de monuments et de statues extérieures au début du XXe siècle a certainement joué un rôle dans cet engouement pour les monuments au Sacré-Cœur. À titre d’exemple, la Daprato Statuary Company, fondée à Chicago en 1860, possède une succursale à Montréal de 1916 à 1939. Recevant de nombreuses commandes pour ce type de monuments, elle offre à ses clients une variété de modèles présentés dans des catalogues.

Les statues posées sur un haut socle sont le plus souvent en pierre ou en fonte recouverte d’une peinture dorée. Les modèles simples ne comprennent que la statue du Christ, tandis que les plus élaborés comportent des lampadaires ou sont flanqués d’anges portant des flambeaux. Les monuments au Sacré-Cœur se trouvent toujours à proximité de l’église. Un aménagement paysager soigné, voire un parc public, les entoure et participe à l’embellissement des centres villageois.

Toujours debout 

Ces ouvrages demeurent en place depuis plus d’un siècle, et sont considérés assez importants par certaines paroisses ou municipalités pour investir des sommes parfois colossales dans leur restauration. Certains monuments bénéficient même d’un panneau d’interprétation historique à titre d’élément du patrimoine local. En préservant ces statues, on perpétue la mémoire des ancêtres : ceux qui sont allés à la guerre, les victimes de la grippe espagnole, ou simplement ceux qui priaient le Sacré-Cœur. Et en conservant les monuments, on prolonge la prière dans le temps, comme un lampion continue la prière de celui qui l’a allumé.

Des inscriptions sont parfois aussi ajoutées sur le socle, dans une sorte de renouvellement ou de « mise à jour » de l’ex-voto. À Maskinongé par exemple, village partiellement ravagé par une tornade le 27 août 1991, une plaque remerciant la Providence pour les vies épargnées a vraisemblablement été posée sur un monument plus ancien (voir photo).

« D’âge en âge, Seigneur, tu as été notre refuge »     – Ps 89 –

Durant les deux dernières années, marquées par la covid, je pensais souvent aux monuments du Sacré-Cœur. Ces supplications communes pour attirer la protection divine, ces hommages gravés dans la pierre ont quelque chose qui détonne avec l’attitude actuelle de repli et d’isolement des Québécois (croyants ou pas). La mobilisation des communautés de jadis autour de la construction de ces ouvrages, et le témoignage public de foi et d’espérance qui en a résulté, étreint le cœur quand elle est mise en contraste avec les messes virtuelles, les églises fermées, les passeports vaccinaux et le déni de toute vie spirituelle par les autorités civiles d’aujourd’hui. Mais j’essaie tout de même de ne pas succomber à la tentation de me complaire dans des regrets nostalgiques d’une époque que je n’ai pas connue (et qui comportait son lot de misères).  Après tout, le Sacré-Cœur est toujours debout, les bras ouverts à ceux qui peinent sous le fardeau.

9 Commentaires

  • Jean-Eric Guindon
    20 août 2022 à 0 h 48 min

    Quel bon texte ! Merci !

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  • K. Anne Beaupré
    20 août 2022 à 13 h 59 min

    La dernière ligne me fait pleurer. Merci, Agathe. Tu nous expliques bien le fond, la raison d’être de ces statues, qui pour moi sont toujours une reconnaissance de la presence de Dieu avec nous, dans nos campagnes, dans les rues, mais là voilà, je vais avoir un regard avec plus de connaissance, plus d’amour. Et puis, on peut mieux raconter ce Jésus ici incarné à nos enfants… Merci encore une fois.

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  • Élise Frigon
    22 août 2022 à 1 h 02 min

    Je pensais bien connaître ces monuments pour les croiser régulièrement et depuis de longues
    années sur nos routes du Québec mais découvrir leur histoire, leur raison d’être, le culte qu’on leur
    voue et la piété qu’on leur témoigne encore aujourd’hui est simplement fascinant et c’est raconté
    de façon très intéressante et fort bien documenté.
    Merci Agathe

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  • Louis Aubry
    22 août 2022 à 12 h 38 min

    C’est un beau texte. Ici dans la Province de l’Ontario le Sacre – Cœur de Jesus est vénéré à plusieurs endroits.

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    • Agathe Chiasson-Leblanc
      24 août 2022 à 17 h 36 min

      Oui, j’arrive justement de l’Ontario, et j’y ai vu quelques statues du Sacré-Coeur!

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  • Victor Vallée
    22 août 2022 à 22 h 05 min

    Votre page me rappelle la dévotion au Sacré-Coeur des générations qui nous ont précédés. La ferveur des québecois n’est plus la même et bien des églises ont fermées ou ont été démolies, mais souvent le monument du Sacré-Coeur reste en place comme un rappel de la dévotion de nos ancêtres. S’il y a un prêtre qui a contribué à la dévotion du Sacré-coeur et à populariser l’érection de ces monuments devant les églises, c’est bien le Père Lelièvre (1876-1956) vicaire à la paroisse de St-Sauveur de Québec et fondateur de la Maison-Jésus-Ouvrier. Je vous invite à prendre connaissance de sa biographie et de son oeuvre. https://crc-canada.net/eglise-au-canada/20e-siecle/pere-lelievre.html

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