Vous êtes-vous déjà interrogé sur l’origine et le sens des chemins de croix, ces petits parcours illustrant la Passion de Jésus que l’on voit dans les églises, les cimetières et les sanctuaires? Dévotion très ancienne, particulièrement présente durant le carême et la Semaine sainte, cette pratique fait appel à un héritage à la fois matériel (les œuvres d’art qui lui servent de support) et intangible (rituel transmis par la tradition).
Origines médiévales et franciscaines
Au Moyen Âge, les pèlerinages en Terre Sainte par les chrétiens d’Europe sont relativement répandus et encouragés par l’Église, qui accorde aux pèlerins des indulgences pour cette entreprise. Sur place, il est de coutume de visiter les lieux où le Christ a souffert sa Passion et sa mort, dont la montagne du Golgotha et le Saint Sépulcre. Des traditions locales inspirent aussi les pèlerins : le Vendredi saint, les chrétiens de Jérusalem font une procession au cours de laquelle sont lus des passages des Évangiles racontant les derniers moments de la vie de Jésus.
Toutefois, on comprendra aisément que ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre un tel voyage, surtout avec les moyens de l’époque. Par ailleurs, les Franciscains s’installent en Palestine au 13e siècle, puis obtiennent la garde des lieux saints. Ce sont eux qui importent en Italie la dévotion au chemin de croix; ils commencent à ériger dans des sanctuaires extérieurs des « stations », nom que l’on donne à ces étapes du chemin faisant mémoire d’un moment particulier de l’agonie de Jésus. Le nombre de ces stations varie beaucoup au début, avant d’être fixé à 14.
Cette dévotion prend de l’ampleur dans les siècles suivants et se propage à l’Église entière, les papes encourageant l’aménagement de chemins de croix pour tous les lieux de culte, à l’extérieur comme à l’intérieur : tout d’abord par les Franciscains seulement, puis par n’importe quel prêtre. Les fidèles qui parcourent un chemin de croix en méditant les souffrances du Christ obtiennent aussi des indulgences, sans avoir à se déplacer jusqu’en Terre Sainte. Ainsi est né un mini-pèlerinage à la portée de tous!
Au Québec, le premier chemin de croix extérieur à voir le jour est celui du Calvaire d’Oka, érigé sur une montagne vers 1740 par les Sulpiciens pour évangéliser les Autochtones. Au 19e siècle, alors que la pratique des pèlerinages connaît un engouement sans précédent, des chemins de croix sont aménagés dans plusieurs sanctuaires. Le bienheureux père Frédéric, franciscain ayant travaillé une dizaine d’années en Terre Sainte, a contribué de façon notoire à l’essor de cette dévotion chez-nous : les chemins de croix du sanctuaire Notre-Dame-du-Cap à Cap-de-la-Madeleine, du sanctuaire de la Réparation à Pointe-aux-Trembles et du Calvaire de Saint-Élie-de-Caxton sont les fruits de son travail.
Le chemin de croix comme expérience et comme objet
Mais pourquoi faire un pèlerinage en se déplaçant simplement d’une image du Christ souffrant à l’autre? Parce qu’en méditant sur les tortures et les humiliations infligées à Jésus, sur son acceptation de ces injustices et son pardon à ses persécuteurs, nous apprenons à porter nous-mêmes notre propre croix. Et notre amour pour le Fils de Dieu grandit en réalisant qu’il a donné sa vie pour nous obtenir le salut. Pour que cette expérience spirituelle soit complète et porte des fruits, il est conseillé d’avoir avec soi un petit livret ou un ensemble de prières destiné spécialement à cet exercice (il en existe des centaines, et on peut en trouver beaucoup sur internet également). Pour chaque station, un court passage des Évangiles peut être lu, suivi d’une méditation et d’une prière. On peut faire un chemin de croix seul, ou avec un groupe.
Des images nous aident également à vivre en esprit cet épisode de la vie de Jésus, comme si nous y étions. Les chemins de croix extérieurs sont composés de groupes sculptés, souvent en fonte ou en bronze, ou de bas-reliefs en bois ou en plâtre peint.
Parfois, des petits édicules ou des structures vitrées protègent les sculptures. On en trouve dans beaucoup de sanctuaires, souvent dans un petit parc boisé ou sur une montagne afin de rendre le « pèlerinage » plus signifiant d’un point de vue physique. Plusieurs cimetières possèdent aussi de tels chemins de croix; il était en usage, autrefois, de pratiquer cette dévotion le vendredi (jour de la mort du Christ) ou durant le Jour des Morts (2 novembre, Commémoration des fidèles défunts) en allant en même temps se recueillir sur la tombe des défunts de la famille.
Dans une église, on peut faire un chemin de croix intérieur, qui comprend 14 tableaux ou petits reliefs installés le long des murs de la nef. Dans les versions les plus minimalistes, de simples croix en bois numérotées servent de stations.
Une pratique toujours vivante
Si vous êtes tentés de voir dans cette dévotion une relique du passé, ou le reflet d’une piété doloriste (exaltation de la douleur pour elle-même), sachez qu’il s’agit au contraire d’une pratique encore centrale dans la foi catholique, et qu’elle constitue une expérience lumineuse. Méditer un chemin de croix pendant la Semaine sainte, après la longue période d’approfondissement de la foi qu’est le carême, prend tout son sens et vient augmenter d’un cran la joie que l’on ressent lorsqu’arrive enfin Pâques. Car il n’y a pas de Passion sans Résurrection! D’ailleurs, depuis les années 1950, certains chemins de croix comportent même une quinzième station : celle de la Résurrection.
À l’approche de Pâques, plusieurs paroisses ou lieux de culte organisent des chemins de croix comprenant des prédications, des témoignages, des prières en groupe. En certains endroits (notamment à la cathédrale de Trois-Rivières), des représentations théâtrales de la Passion – c’est-à-dire actées, avec costumes – ont même lieu!
En cette année jubilaire 2025 ayant pour devise « Pèlerins d’espérance », le pèlerinage miniature et accessible que constitue le chemin de croix est une occasion toute désignée pour entrer dans la démarche sanctifiante proposée par l’Église. Plusieurs sanctuaires officiellement désignés comme lieux de pèlerinage du Jubilé comportent par ailleurs un chemin de croix, comme le sanctuaire Notre-Dame-du-Cap et le Calvaire de Saint-Élie-de-Caxton en Mauricie. Dans de tels lieux, vous pourrez-même combiner les bénéfices d’un moment de recueillement, d’une sortie en plein-air et de la contemplation d’œuvres artistiques et patrimoniales!
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