Saviez-vous qu’il a existé, dans l’histoire récente du Québec, une dévotion à la Vierge spécifiquement liée à la production de sirop d’érable? Vu l’importance de l’acériculture dans certaines régions, il ne faut pas se surprendre que cette activité ait donné une couleur locale à la pratique religieuse. De même, des rituels catholiques ont été associés au temps des sucres, comme la bénédiction des érables. Penchons-nous sur ce phénomène…sucré de l’héritage sacré!
Tradition inspirante
Il semble que la coutume de faire bénir les érablières, chaque année au début du printemps, daterait au moins du 19e siècle. Les sources qui attestent la pratique de ce rituel sont toutefois rares; les témoignages se font plus nombreux à partir des années 1900. Les régions de l’Estrie, des Bois-Francs et de la Beauce sont les hauts-lieux de cette tradition.
En 1913, le peintre Suzor-Côté commence à illustrer ce thème qui l’émeut et l’inspire :
« […] il y a de la grandeur dans cette idée. On établit un lien entre le travail quotidien et le divin; on reconnaît un Pouvoir supérieur à l’être humain, on reconnaît la source de Tout. Une telle cérémonie rend noble et déférent. Elle est magnifique et elle m’émeut. Et quand je suis ému, je suis capable de peindre. […] Et c’est toujours quand je suis dans mon pays et parmi les miens que je suis ému et inspiré[1]. »
Des versions de ce beau grand tableau, La Bénédiction des érables, se trouvent aux musées des beaux-arts de Québec et de Montréal. Les descriptions de cette cérémonie par des ethnologues correspondent à ce que l’on voit dans l’œuvre du peintre d’Arthabaska : le prêtre, habillé d’une belle chasuble, était précédé par un adulte (souvent le sacristain) portant la croix, et accompagné par des enfants de chœur vêtus du surplis blanc et tenant le bénitier. Après avoir aspergé les arbres d’eau bénite, il bénissait les participants.
Statue protectrice
Y avait-il déjà, du temps de Suzor-Côté, des invocations à la Vierge pour assurer une bonne récolte d’eau d’érable et protéger les boisés des incendies? Très probablement, puisqu’une statue représentant Notre-Dame-de-l’Érablière fut sculptée par l’artiste Léandre Parent avant 1885 pour un acériculteur de Saint-Augustin-de-Desmaures[2]. La coutume de placer une petite statuette de la Vierge dans les cabanes à sucres – voire même une figurine faite…en sucre – pourrait dater aussi de cette époque.

Albert Chartier et sa statue de Notre-Dame-des-Érables. Source : Wiki Commons
Ce qui est certain, c’est qu’en 1957, le cardinal Paul-Émile Léger se rend à Rome à la demande des producteurs d’érable du Québec afin d’obtenir du pape Pie XII l’autorisation d’invoquer la Vierge Marie sous le vocable Notre-Dame des Érables et d’en faire réaliser des images, ce qui lui est accordé. Le sculpteur français Albert Chartier réalise à cette époque un modèle de statue, qui sera reproduit en 5000 exemplaires par la maison Petrucci et Carli de Montréal puis distribué aux acériculteurs qui en font la demande. Chartier se serait inspiré de l’œuvre de Léandre Parent mentionnée plus haut, mais en lui donnant une esthétique résolument Art Déco, très stylisée. La jolie statuette représente Marie portant l’Enfant-Jésus, qui tient une feuille d’érable dans sa main.

Logo de la fabrique Notre-Dame-des-Érables
La fête liturgique de Notre-Dame des Érables avait lieu le 6 mars. Le dimanche précédant ou suivant cette date, était célébrée une grand-messe solennelle recommandée par les sucriers de chaque paroisse. Après la messe, la foule se déplaçait en procession jusqu’à l’érablière la plus proche pour le rituel de la bénédiction, relate l’ethnologue Jeanne Pomerleau.
Le vocable Notre-Dame des Érables a laissé des traces dans la toponymie québécoise et même canadienne. Une paroisse du Centre-du-Québec et une école de l’Estrie portent ce nom, de même qu’une municipalité du Nouveau-Brunswick.
Sucre et carême

»Les sucres », par Edmond-Joseph Massicotte, 1903. Source : Wiki Commons.
Par un paradoxe qui témoigne de l’humour du Bon Dieu, le temps des sucres a toujours coïncidé avec une période de privations et de pénitence qui est de la plus haute importance pour les catholiques : le carême. Si l’Église d’aujourd’hui, moins adonnée aux mortifications, ne demande plus que deux jours de jeûne et des efforts personnels durant ce temps liturgique, il en était tout autrement avant les années 1960. L’abstinence de viande et bien sûr, de sucreries et de desserts était observée tout au long des 40 jours précédant Pâques (sauf les dimanches). Disons que le jambon, le lard et le sirop d’érable, à la base des « repas de cabane à sucre » depuis toujours, n’étaient pas de mise!
Fait intéressant, il semble ici que le discours ambiant dépeignant les Canadiens français comme un peuple totalement soumis aux diktats du clergé apparaît dissonant et même faux. Notre peuple plutôt fêtard (du moins autrefois…) et lié au travail de la terre ne pouvait s’empêcher, apparemment, de profiter des quelques semaines de récolte d’eau d’érable pour faire des « trempettes » (tire d’érable) en dépit des interdits. On raconte même que certaines familles n’avaient pas trop de scrupules à se cacher dans les bois pour festoyer, manger, chanter et danser, et aussi que les « parties de sucre » étaient un lieu privilégié pour les fréquentations garçons-filles… Pas si austères que ça, finalement, nos ancêtres! Et pas tous des saints non plus, serais-je tentée d’ajouter!
[1] Laurier Lacroix. Suzor-Côté : lumière et matière. Musée du Québec, 2002, p. 206.
[2] Jean Simard, Les Arts sacrés au Québec, Éditions de Mortagne, 1989, p.266
2 Comments
fr. Denis, psf
9 avril 2025 at 2 h 15 minTrès bel article, Agathe.
Il serait intéressant de savoir s’il y a encore au Québec une cabane à sucre possédant une statue de Notre-Dame-des-érables.
À quand un article sur Notre-Dame-du-vaissellier?
Agathe Chiasson-Leblanc
9 avril 2025 at 13 h 16 minJ’ai vu passer quelques statuettes de Notre-Dame des Érables à vendre, par des antiquaires. Quant à »Notre-Dame du Vaisselier », il faudrait demander à Flavie d’écrire cet article, haha! 🙂