Patrimoine du Québec / Patrimoine rural

Camps scouts et colonies de vacances

Ces bonnes vieilles « bases de plein-air » qui nous offrent un accès à la nature ont bien souvent été fondées par des communautés religieuses, des prêtres, ou des groupes scouts. Que reste-t-il de ce patrimoine discret, dissimulé en forêt, sur le bord des lacs?

Au camp scout de ma fille, à côté de l’endroit où les enfants se font griller des guimauves sur le feu, une statuette de la Vierge fixée à une croix de chemin participe à la beauté et à la sérénité du site, avec le lac et la petite cascade dont on entend le bruit. Pourtant, cette association scoute est depuis longtemps sécularisée.

Dans chaque région du Québec se trouvent encore des sites de villégiature aménagés au milieu du XXe siècle par des congrégations religieuses. En plus des infrastructures servant à l’hébergement des vacanciers (villas, chalets, dortoirs, salles communes, etc.), ces camps comprenaient à l’origine une petite chapelle au milieu des bois, des croix, des statues ou d’autres signes favorisant la contemplation. L’héritage matériel conservé en ces lieux rappelle une époque où l’Église et la jeunesse avaient des liens étroits, époque dont le Québec d’aujourd’hui évacue les bienfaits pour ne garder que le côté sombre et les malheureuses histoires d’abus.

Une œuvre de charité : la nature offerte aux enfants pauvres

La chapelle du camp Claret, à Stratford. Source: Répertoire du patrimoine culturel du Québec (RPCQ)

Les colonies de vacances naissent au tournant du XXe siècle en Europe, dans un souci d’offrir des vacances saines aux enfants défavorisés des villes, dont la santé est souvent fragile. Comme ces camps sont généralement financés par des souscriptions populaires et des aumônes, la plupart sont gérés par des communautés religieuses ou des prêtres. Au Québec, la plus ancienne colonie de vacances toujours en fonction est la Colonie des Grèves, fondée en 1912 à Contrecœur et soutenue par diverses institutions au cours de son histoire, dont la Société Saint-Vincent-de-Paul et la Commission des écoles catholiques de Montréal. À l’époque des premières colonies, les enfants (plus souvent des garçons) passent plusieurs semaines, voire tout l’été, dans un camp situé en pleine nature et sur le bord de l’eau. En jouant ainsi au grand air, en mangeant à leur faim et en pratiquant des sports dans un esprit de camaraderie, les enfants reprennent des forces physiques. Le développement spirituel des jeunes est aussi pris en compte : ils assistent à la messe chaque matin dans la chapelle, font leurs prières, apprennent des chants religieux et profanes, etc.

Chapelle de la colonie Sainte-Jeanne-d’Arc, à Contrecoeur. Source : RPCQ

De nombreuses œuvres similaires sont fondées par la suite un peu partout dans la province, notamment dans les régions de Québec, de Lanaudière, des Laurentides et des Bois-Francs. Des camps pour filles sont également établis. Mais une constante demeure : ces camps sont presque toujours destinés aux enfants pauvres des villes, du moins durant les débuts. Qu’en est-il aujourd’hui? Maintenant que l’on a refoulé les communautés religieuses aux marges de la société, qui prend soin des jeunes défavorisés, qui s’assure que les moins nantis peuvent bénéficier de véritables vacances? Tim Hortons[1]?

Lieux de retraite pour les religieux

Quelques camps sont aussi établis dans des lieux de vacances appartenant déjà à des clercs ou des congrégations qui les utilisaient jusque-là pour leur propre repos, durant l’été. À titre d’exemple, le domaine Tavibois, à Hérouxville, a été bâti au début des années 1950 par des prêtres, dont Albert Tessier, puis légué aux Filles de Jésus, et enfin acheté par la municipalité pour en faire un lieu de villégiature locatif. Mais ces ermitages ne connaissent pas tous le même sort : près de chez moi, un domaine sur le bord d’un lac ayant appartenu aux Sœurs de la Providence est plutôt devenu un développement immobilier de luxe après avoir été vendu à un promoteur… Plutôt qu’offrir la chance aux enfants pauvres de se baigner dans le lac, on a décidé de l’offrir à de riches retraités.

Origines chrétiennes du scoutisme

Le cardinal Léger en compagnie d’un groupe scout. Source: BAnQ (https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3161898)

Créé en 1907 en Angleterre par le militaire à la retraite Robert Baden Powell, le mouvement scout a pour but le développement physique, moral et spirituel des jeunes. Il promeut des valeurs enracinées dans le christianisme, notamment l’esprit de service (charité), la fidélité (chaque scout fait une promesse solennelle), le sens du devoir, la solidarité, le courage. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une organisation paramilitaire, les scouts doivent porter l’uniforme, se conformer à une certaine discipline, et peuvent être décorés de badges et d’écussons qu’ils doivent mériter en réussissant des épreuves.

Au Québec, le scoutisme prend son essor dans les années 1930 et devient rapidement très populaire. Parrainé par le clergé catholique, il comporte alors des dimensions spirituelle et religieuse importantes. Les activités en plein-air sont également un volet majeur, ce pourquoi la plupart des groupes scouts possèdent ou ont accès à des camps en nature.

Le badge »liturgiste» de ma fille (symbole d’un ostensoir)

La dimension confessionnelle du scoutisme a été écartée avec le temps, du moins ici. L’Association des scouts du Canada, très soucieuse de son image (qu’elle a fait évaluer par des sondages), a décidé de rompre avec cet aspect traditionnel et a complètement laïcisé l’ensemble de ses structures[2]. Toutefois, une autre association, celle des Aventuriers de Baden-Powell, conserve quelques références au christianisme et offre le choix aux jeunes de les inclure ou non dans leur expérience, bien que le groupe soit neutre et officiellement laïc. Le petit cahier remis aux Louvettes et aux Louveteaux comprend encore des prières, des pages sur les saints patrons du mouvement, et le scout peut encore faire sa promesse devant Dieu s’il le désire. Il a même la possibilité d’obtenir un badge de « liturgiste » ou de servant de messe! Pour combien de temps encore tout cela sera-t-il conservé? Je l’ignore. Souhaitons au moins que le développement spirituel des jeunes garde une place au sein du scoutisme, puisqu’il a été évacué des écoles comme de toutes les dimensions de la vie publique et communautaire.

Aujourd’hui, les camps et les infrastructures servant aux scouts peuvent pour la plupart être utilisés et loués par la population; plusieurs anciennes colonies de vacances ont été rachetées par des municipalités ou des particuliers pour en faire des bases de plein-air et des lieux de villégiature accessibles aux familles. Les chapelles et les signes religieux disparaissent parfois. Mais souvent, étonnamment, ils sont conservés. Et ce, pour le bénéfice des villégiateurs, qui se rappelleront qu’il existe encore plus beau et plus ressourçant que l’air vivifiant de la nature : son Créateur.

 

[1] https://campsquebec.com/camps/camp-des-voyageurs-tim-horton

[2] https://presence-info.ca/article/societe/toujours-prets-avec-ou-sans-dieu/

 

2 Commentaires

  • Mathieu Binette
    12 août 2023 à 23 h 12 min

    Pour ma part, c’est le camp Notre-Dame de St-Liguori que j’ai fréquenté, plus jeune. Aujourd’hui, étrangement, il ne reste que la chapelle qui soit encore debout. Un promoteur l’a acheté il y a plusieurs années, mais tout est à l’abandon. Je m’attends d’y voir des chalets bientôt.

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  • Marcel Meunier
    13 août 2023 à 1 h 08 min

    Bonjour Mme Agathe Chiasson-Leblanc , j’ai trouvé fort intéressant et instructif votre article sur les camps scouts et colonies de vacances pour les jeunes . Heureusement certaines personnes comme vous , trop peu ! , nous rappellent les nombreuses œuvres pour lesquelles se dévouèrent les communautés religieuses du Québec . On leurs doit une très grande reconnaissance , pourtant , trop nombreux sont ceux qui préfèrent les oublier ! Merci !

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