Patrimoine du Québec / Patrimoine toponymique

Comme une litanie sur la route : les toponymes religieux du Québec

Source d’étonnement depuis toujours pour les étrangers de passage, la carte du Québec est comme une carte du monde céleste : les noms de saints et autres appellations à caractère sacré marquent l’entièreté du territoire. Avec les clochers d’église encore debout, ces noms de lieux constituent l’une des dernières traces visibles de l’héritage catholique du pays, qui a basculé dans l’autre extrême pour devenir « l’endroit le plus religieusement aride entre le Pôle Nord et la Terre de Feu[1] ».

Inscrits, comme tout nom, au plus profond de notre identité, ces toponymes sont une caractéristique unique du Québec, une richesse qui devrait normalement être objet de fierté. Cette originalité qui charme les visiteurs n’a pas été comprise par quelques localités (encore en marge, Dieu merci) qui ont choisi de changer de nom pour se départir d’une connotation religieuse qui nuirait plutôt, selon eux, à leurs visées touristiques[2]. Quoi qu’il en soit, la plupart de ces noms de rues et de municipalités ont été épargnés par le bulldozer de la laïcité jusqu’à ce jour (pour des raisons peut-être plus pratiques qu’historiques), et chaque voyage en voiture, chaque pancarte routière nous fait faire une petite litanie[3] des saints!

Les noms de saints

Les premiers établissements fondés sur les rives du Saint-Laurent au XVIIe siècle ont pour la plupart hérité leur nom d’officiers militaires, spécialement ceux du régiment de Carignan-Salières (Varennes, Verchères, Contrecœur…), ou du seigneur possédant les terres. Cependant, une grande partie des municipalités du Québec actuel tirent leur nom de la paroisse d’origine, et donc du saint patron ou de la sainte patronne de la localité. C’est au milieu du XIXe siècle, soit à partir de 1845, que les paroisses sont incorporées en municipalité, ou érigées civilement. La plupart de ces nouvelles entités conservent tout simplement leur nom initial. Comme je l’ai déjà mentionné dans mon article sur les statues patronymiques, le choix du saint patron local s’appuyait souvent – mais pas toujours – sur le prénom d’un personnage important du lieu : le seigneur ou la seigneuresse, le premier curé desservant, etc. Par exemple, la municipalité de Sainte-Flavie s’appelle ainsi à cause de la seigneuresse Angélique Flavie Drapeau, qui a donné le terrain pour construire l’église.

Afin d’éviter les dédoublements, ce nom de saint était fréquemment accolé à un autre nom se rapportant à un élément géographique comme une rivière, ou à un canton. Il n’y a évidemment jamais existé de sainte Élisabeth « de Warwick », de saint Élie « de Caxton », ou de saint Édouard « de Maskinongé »! Ces noms composés sortent en tout cas de l’ordinaire et font parfois sourire; on n’a qu’à penser à Saint-Tite-des-Caps, Saint-Louis-du-Ha! Ha! ou Sainte-Madeleine-de-la-Rivière-Madeleine…

Les hagiotoponymes (toponymes avec le nom d’un saint) du Québec ont aussi la particularité de faire référence à des saints atypiques ou méconnus. En effet, qui connaît saint Zotique, saint Hippolyte ou saint Eustache? Selon un chercheur en histoire, ceci s’expliquerait par la difficulté, pour les paroisses d’ici, à obtenir des reliques de saints[4]. Comme les autels, dans les églises, devaient contenir des reliques, et que les premiers saints du Canada n’ont été canonisés qu’à partir de 1930, on devait donc importer des reliques d’Europe. Or, les reliques des premiers martyrs chrétiens étaient plus faciles à obtenir car on les trouvait dans les catacombes. Je suppose aussi qu’il était plus facile de se procurer des reliques de saints moins populaires que, disons, des reliques de saint François d’Assise ou de sainte Thérèse d’Avila!

Les noms de rues, eux, sont généralement plus conventionnels et se rapportent aux saints les plus connus et les plus vénérés : saint Joseph, saint Antoine, saint François-Xavier, etc. Rares sont les villages ou les villes dont les rues du noyau historique ne font pas référence à ces saints. À titre d’exemple, Louiseville, petite ville à proximité d’où j’habite : TOUTES les rues du centre-ville ont un hagiotoponyme traditionnel.

Les noms liés à la Vierge

De même, quelle ville du Québec n’a pas sa rue Notre-Dame? Les toponymes incluant Notre-Dame sont très nombreux (Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Notre-Dame-du-Portage, etc.), mais ne sont pas les seuls se rapportant à la Vierge Marie. Les noms tirés des mystères du rosaire (L’Assomption, L’Annonciation) ou d’autres facettes du culte marial sont également légion. Par exemple la municipalité de La Conception, dans les Laurentides, se rapporte au dogme de l’Immaculée Conception, selon lequel Marie a reçu le privilège unique d’être conçue sans la marque du péché originel, étant donc absolument pure. Fait intéressant, j’ai remarqué que ce concept de l’Immaculée Conception est rarement compris aujourd’hui, même par ceux qui ont eu une éducation religieuse. En effet, on le confond la plupart du temps avec la conception virginale de Jésus, c’est-à-dire le fait que le Christ a été conçu du Saint-Esprit et enfanté par une Vierge. Allons, ne vous méprenez surtout pas dans vos conceptions!

Les autres noms à caractère religieux

Le répertoire des toponymes religieux comprend aussi des noms plus rares et originaux tirés du monde sacré. Plusieurs sont reliés au Christ, tels Précieux-Sang, L’Épiphanie, L’Ascension, Saint-Sacrement ou Sacré-Cœur-de-Jésus, par exemple. D’autres se rapportent à la dimension trinitaire de la divinité, comme Baie-Trinité ou Grand-Saint-Esprit. Certains noms comprennent plutôt des objets religieux, dont la croix : Lac à la Croix, etc. Enfin, quelques toponymes ont une signification religieuse moins évidente, comme par exemple la petite ville de Piopolis, fondée par des zouaves pontificaux, et dont le nom signifie « ville de Pie » (donc ville du pape, qui était alors Pie IX).

Bien que nos toponymes religieux soient omniprésents à l’échelle du Québec, ils abondent particulièrement dans certaines régions. Ainsi, la Beauce semble assez riche en appellations comprenant des noms de saints, et les Laurentides du curé Labelle ont aussi hérité de plusieurs noms choisis ou inspirés par le Roi du Nord. Ma terre natale, les Îles de la Madeleine, pourrait faire figure d’exception avec ses toponymes plutôt tirés des paysages maritimes (Havre-aux-Maisons, Pointe-Basse, etc.), mais elle a au moins un nom très catholique : Fatima[5]!

Si auparavant, on disait tout simplement « Je suis de la paroisse Saint-Joseph », aujourd’hui, les municipalités se creusent parfois les méninges pour trouver des gentilés qui conviennent à leur nom original. C’est ainsi que les habitants de Saint-Joseph-des-Érables se nomment les Josérabliens, ceux de L’Ange-Gardien les Gardangeois, ceux de L’Esprit-Saint les Spiritois, tandis que la municipalité de L’Ascension-de-Notre-Seigneur, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, a choisi de nommer ses habitants les Ascensionnais.

Notre riche patrimoine toponymique témoigne de l’importance de la foi dans la vie des pionniers qui ont développé le territoire. Chaque avancée, chaque trouée dans la forêt était toujours accompagnée ou suivie d’une mission catholique, mission devenue paroisse, village, et même ville… Nos noms de lieux forment aussi un beau mariage entre nos protecteurs du Ciel, nos paysages uniques et les langues autochtones. Soyons conscients de l’importance de cet héritage, qui a toujours suscité, dans les communautés, un fort sentiment d’appartenance jusqu’à nos jours. Et vous, vous venez de Saint-Qui?

 

 

[1] Voir l’article de George Weigel dans la revue First Things : https://www.firstthings.com/web-exclusives/2016/09/catholicisms-empty-quarter

[2] Notamment Saint-Faustin-Lac-Carré et Sainte-Anne-de-Portneuf.

[3] Litanie : Prière formée d’une longue suite d’invocations à Dieu, à Jésus-Christ, à la Vierge ou aux saints, suivies d’une formule répétée (comme « priez pour nous »).

[4] http://journallepont.ca/fr/node/440

[5] Localité portugaise où ont eu lieu de célèbres apparitions de la Vierge en 1917.

1 commentaire

  • Solange.
    22 juillet 2023 à 14 h 21 min

    J’ai beaucoup aimé faire ce voyage à travers ton article très étoffé…🙏🌸

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