Statues et monuments

Les statues patronymiques : à chaque église son saint

Les statues de saints qui ornent les façades de nos églises paroissiales sont aussi incontournables, d’un point de vue architectural et symbolique, que la haute silhouette des clochers. En ce premier novembre, fête de tous les saints, parlons de ces mystérieux personnages dorés qui veillent au creux de leur niche en tant que protecteurs attitrés d’un troupeau d’âmes. 

Sainte Ursule

Le choix du saint patron, lors de l’érection d’une nouvelle paroisse, revenait traditionnellement à l’évêque, et faisait souvent honneur à un personnage local important en reprenant par exemple le prénom du premier curé desservant du village ou celui du seigneur propriétaire des terres. Ainsi, l’église paroissiale de mon village s’appelle Sainte-Ursule parce que les Ursulines étaient propriétaires de la seigneurie.

Façonnées à l’effigie du saint ou de la sainte choisis, les statues patronymiques sont dotées de leurs attributs traditionnels pour en faciliter l’identification : crosse et mitre pour les saints évêques, palmes pour les martyrs, lys pour les vierges, etc. Habituellement placées dans une niche percée au faîte de la façade, ces sculptures extérieures de grandes dimensions ont pour la plupart été créées dans le dernier quart du XIXe siècle ou au début du siècle suivant, parfois en remplacement d’une statue plus ancienne. C’est en effet à cette période d’apogée de la construction d’églises au Québec qu’apparaît une demande importante en statues de saints de tous les types; ceci représente un afflux de commandes pour les sculpteurs de métier.

Une technique québécoise

Saint Paulin

Certains artistes ont même fait de ces grandes statues leur spécialisation : c’est notamment le cas de Louis Jobin autour de Québec, d’Henri Angers son élève, et d’Olindo Gratton dans la région de Montréal. Ces sculpteurs utilisaient alors une technique particulière qui aurait été développée à Montréal vers 1850. Afin de doter les façades d’églises de statues à la fois résistantes aux intempéries et plus économiques que les monuments coulés en bronze, les artistes créaient de grandes sculptures en bois sur lesquelles ils martelaient et repoussaient des tôles de cuivre ou de plomb. Ces statues de bois habillées d’une chape métallique ne se sont toutefois pas avérées à l’épreuve du temps : après quelques décennies à affronter la pluie et la neige, la sculpture subit des infiltrations d’eau et sa base en bois s’effrite, laissant une coquille de métal fragile et souvent déformée. Certaines de ces statues ont cependant été restaurées par des spécialistes et continuent d’orner magnifiquement leur église[1].

Quelques paroisses possèdent des statues patronymiques en pierre, normalement plus solides, et certaines ont placé leur statue de bois originale bien à l’abri à l’intérieur de l’église, dans la nef, pendant qu’une copie ou une nouvelle statue en béton prend place dans la niche à l’extérieur. Parce qu’une façade d’église avec une niche vide, ça ne se conçoit pas… On a beau désacraliser les lieux de culte et les transformer en n’importe quoi, une église dépouillée de son saint patron est un fantôme dans le village, difficile à assumer sans culpabilité.

Le regard effrayant de la bonne sainte Anne

Chose plutôt comique, quand on fait redescendre ces grandes sculptures sur le plancher des vaches, on s’aperçoit souvent que leurs traits sont assez simples et naïfs, presque grossiers! C’est que ces œuvres ont été réalisées pour être observées à bonne distance, en contre-plongée, et que la lecture doit en être facile pour le simple passant. Le fignolage des détails devient ainsi superflu, quoique certaines sculptures réalisées par des artistes renommés montrent une véritable qualité d’exécution.

L’une de ces statues « descendues » et créées par un artiste célèbre m’a d’ailleurs fait presque peur la première fois que je l’ai vue. Il s’agit de la statue de sainte Anne aujourd’hui exposée sous un pavillon vitré dans le cimetière de Yamachiche, mais qui à l’origine se trouvait sur la façade de la première église du village. Sculptée en 1832 dans les ateliers de Thomas Baillairgé à Québec, la statue en bois peint de couleur dorée mesure neuf pieds de hauteur et est probablement l’une des plus anciennes de ce type conservées jusqu’à maintenant. L’œuvre possède une aura particulière, puisqu’on lui attribue plusieurs miracles. On a même dû la placer, au fil du temps, derrière une grille ou à l’intérieur d’un pavillon fermé pour la protéger des visiteurs effrontés qui se taillaient des morceaux avec leur canif, afin de rapporter avec eux une relique[2]! Serait-ce ces histoires de miracles, le gabarit imposant de l’œuvre, son bras droit levé autoritairement, ou le regard pénétrant des grands yeux écarquillés de sainte Anne qui m’ont fait peur? Quoi qu’il en soit, cette statue fascinante vaut le détour et s’ajoute aux nombreux attraits du beau village de Yamachiche.

Comme des gardiennes de phares

J’ai entendu, récemment, quelqu’un comparer les églises et leurs clochers à des phares spirituels. La Madelinienne en moi a aimé cette comparaison. Un phare, c’est un point de repère dans le brouillard, quelque chose qui empêche le naufrage. Si donc les clochers d’église apparaissent comme un symbole rassurant dans les eaux troubles de notre époque et de nos cœurs, les figures de saints dans leur niche de pierre, elles, seraient des gardiennes de phares. Fidèles à leur poste depuis plus de cent ans, elles ont vu les villages se bâtir autour des clochers. Je me plais à imaginer qu’elles envoient un signal lumineux aux marins qui se sont aventuré trop loin : elles nous invitent à se rapprocher des côtes familières, celles de l’Église.

 

 

[1] Voir entre autres le site de cette exposition, qui comprend plusieurs statues de ce type réalisées par Olindo Gratton : https://pacmusee.qc.ca/fr/expositions/detail/vies-de-plateau/ . Aussi cette statue d’Henri Angers, parmi des dizaines d’exemples : https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=229070&type=bien

[2] http://www.yamachiche.ca/histoires-hier-aujourdhui/cimetiere-yamachiche.htm

4 Commentaires

  • François B.
    1 novembre 2022 à 20 h 31 min

    Très beau texte au sujet intéressant ! Ayant vu une photo récente de l’église Sainte-Famille de l’Île d’Orléans sans ses 5 statues qui trônaient en façade, je trouvais que cela créait un gros vide ! Je vous encourage à poursuivre vos publications d’articles !

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  • Marcel Meunier
    2 novembre 2022 à 0 h 50 min

    Bonjour Mme Agathe Chiasson-Leblanc , Votre article est non seulement intéressant, mais fascinant et combien instructif ! Gros MERCI , Marcel Meunier

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