Patrimoine de sainteté

La prière de Lionel Groulx à Catherine de Saint-Augustin

La galerie de personnages féminins de la Nouvelle-France compte bon nombre de religieuses flamboyantes, pionnières de tous les domaines, dont le travail surhumain n’a d’égal que l’insondable richesse de leur vie intérieure. Parmi celles-ci, Marie-Catherine de Saint-Augustin se classe au plus haut rang. Née Catherine de Longpré, cette Normande d’origine est appelée précocement à la vie religieuse : elle entre chez les Augustines de Bayeux à douze ans. C’est à seize ans, en 1648, qu’elle arrive à Québec afin d’aider les premières religieuses hospitalières de l’Hôtel-Dieu.

Exerçant plusieurs fonctions au sein de sa communauté, dont le soin des malades, la formation des novices et l’économat, Catherine montre dans tout ce qu’elle fait un dévouement, une force de caractère et une vertu exemplaires. Qualifiée par Mgr de Laval de « chef-d’œuvre de l’Esprit Saint », elle est certainement « une héroïne de la charité qui appartient à notre patrimoine de sainteté »[1].

Durant les dernières années de sa vie, Catherine a pour directeur spirituel nul autre que Jean de Brébeuf. Sauf que Brébeuf, à cette époque, est mort depuis un certain temps déjà…Ne l’ayant jamais rencontré de son vivant, c’est à travers des visions que la jeune femme converse avec lui. Ce détail à lui seul suffirait pour attirer mon attention sur cette religieuse singulière. J’ai au moins un point en commun avec elle : une grande admiration pour l’œuvre de Jean de Brébeuf, et une dévotion à ce saint (pour le reste, j’ai quelques croûtes à manger encore). Certains affirment même que Catherine convertissait et soignait des malades en mélangeant à leur breuvage des os pulvérisés ayant appartenu au missionnaire jésuite[2]! D’ailleurs, encore aujourd’hui, les Augustines de Québec conservent précieusement une moitié du crâne de Brébeuf dans leur chapelle (voir à ce sujet mon article sur les saints martyrs canadiens).

La figure de Marie-Catherine de Saint-Augustin est donc reliée à celle de Brébeuf et des martyrs canadiens, et ce de plusieurs manières. Comme les glorieux jésuites, la religieuse est déjà vue comme une sainte par ses contemporains et encore davantage après sa mort en 1668, à l’âge de 36 ans. Ses ossements sont conservés et vénérés par ses consœurs augustines dès la fin du XVIIe siècle[3].

L’amour de Catherine pour le Canada est aussi comparable à celui des missionnaires morts en Huronie. Ayant fait le vœu, en 1654, de rester et de mourir au Canada, elle offre sa vie à Dieu en esprit de réparation pour le salut de la Nouvelle-France. Cette suprême oblation lui vaut d’être déclarée, en 1942, cofondatrice de l’Église du Canada par un comité présidé par le chanoine Lionel Groulx. Formé à la suite d’un mandement des évêques du pays, le Comité des Fondateurs de l’Église canadienne avait pour but de faire connaître les vertus et de promouvoir la canonisation d’au moins six pionniers de la foi au Canada : Marie de l’Incarnation, Marie-Catherine de Saint-Augustin, Marguerite Bourgeoys, Mgr François de Laval, Jeanne Mance et Marguerite D’Youville. Rappelons que les martyrs canadiens, évidemment parmi les fondateurs de l’Église du Canada, étaient déjà canonisés depuis 1930.

C’est en 1984 que le pape Jean-Paul II déclare vénérable Marie-Catherine de Saint-Augustin, tandis qu’elle est proclamée bienheureuse cinq ans plus tard.

Lionel Groulx lui a consacré un petit ouvrage en 1953. Il est aussi l’auteur d’une magnifique prière dédiée à Catherine, dans laquelle on reconnaît sa ferveur et son patriotisme caractéristiques :

Dans votre cité mariale et dans la cité de Dieu

où vous goûtez maintenant la bienheureuse

sérénité des âmes pacifiées, penchez-vous

parfois, ô fille de la Nouvelle-France, sur votre

petit paradis du Québec, et sur votre cher

Canada. Une plante se meurt que vous y aviez

plantée et choyée : la fleur d’héroïsme de la croix,

par amour des hommes et par amour passionné

du Christ et du Père, fleur asphyxiée, hélas, dans

l’atmosphère d’un monde en voie de perdre le

sens de l’Évangile et le sens de Dieu.

 

Cependant, ce pays est toujours là dont le grand

Brébeuf vous avait promis d’avoir soin. Et les

démons de jadis y sont aussi qui exercent les

mêmes ravages : démons du scepticisme,

démons du défaitisme, démons des éternelles

folies humaines.

 

O bienheureuse Catherine, vous qui saviez

comment l’on déjoue et comment l’on vainc les

suprêmes ennemis, aidez-nous à les chasser de

nouveau et à les remplacer par des espérants et

des saints et d’abord par des héroïnes de votre

joyeuse et virile espèce!

Chanoine Lionel GROULX

 

Bienheureuse Marie-Catherine de Saint-Augustin, priez pour nous!

 

 

[1] http://www.centrecatherine.ca/page.php?id=3

[2] https://www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=117838&type=bien

[3] Dans une châsse réalisée par le sculpteur Noël Levasseur, qui se trouve dans la chapelle des Augustines à Québec, à côté du buste-reliquaire contenant les reliques de Brébeuf.

5 Commentaires

  • RENÉ GIRARD
    20 octobre 2022 à 22 h 03 min

    Merci madame pour ce dossier. Je viens de lire le livre du Chanoine Groulx, que vous nous présentez ici, au sujet de cette sœur. J’ai beaucoup aimé ce texte qui m’a fait changer d’idée sur ce que j’avais retenue de la vie de cette sœur, à partir d’une autre biographie, l’auteur insistant trop sur les extases, les visions, les mortifications. La lecture du texte de l’abbé Groulx me rassure sur le côté psychologique, humain et vertueux de cette sainte, bref un parcours plus équilibré.

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  • Didier
    22 octobre 2022 à 14 h 34 min

    Magnifiques articles et site agréable. Quel travail, quel hommage au Seigneur!

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  • K. Anne Beaupré
    23 octobre 2022 à 1 h 01 min

    La prière de Lionel Groulx, ca me fait pleurer…je comprends un peu plus sur elle, c’est comme des morceaux d’une casse-tête se mettent en place sur le début de la Nouvelle-France. Aussi, si tu te rapelles du passage dans le livre du Willa Cather, Shadows on the Rock, où la fille rève à cette réligieuse qui guérit les gens malades avec la poussière d’os… maintenant ces ‘rumeurs’ sont des vrais personnes pour moi. Plus que des héros, des amis qui partage notre amour pour le Canada et nos souffrances de maman, de familles! merci, Agathe

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    • Agathe Chiasson-Leblanc
      23 octobre 2022 à 13 h 08 min

      Oui Kember, tu as raison! Je prévois parler du roman »Shadows on the Rock» dans l’un de mes prochains articles. Ce livre si magnifique évoque bien l’univers de la Nouvelle-France et la foi catholique comme moteur de survie et de fondation du pays.

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