Sanctuaires et pèlerinages

Un vendredi d’automne au calvaire de Saint-Élie

Le village de Saint-Élie-de-Caxton, avant de voir apparaître des traverses de lutins et de faire l’objet d’une folklorisation fantasmée, était jadis connu pour son calvaire aménagé sur une montagne derrière l’église paroissiale. Ce petit sanctuaire dissimulé au creux de la forêt mauricienne est d’ailleurs un exemple surprenant, dans ce contexte, de conservation du patrimoine religieux, sans travestissement ni « mise en tourisme » excessifs.

Fondé à la fin du XIXe siècle sous l’impulsion du « Bon Père Frédéric » (le bienheureux Frédéric Janssoone, franciscain), le calvaire de Saint-Élie comprend un chemin de croix aux stations échelonnées le long d’un sentier gravissant la montagne. Au sommet se trouve ledit calvaire, composé du Christ en croix et des deux larrons, une chapelle, une grande croix métallique ainsi qu’un superbe belvédère avec vue sur le village et les environs. Bien qu’agréable à fréquenter durant toute l’année, le lieu resplendit tout particulièrement quand il est habillé des couleurs automnales.

Même si le calvaire est l’hôte occasionnel d’événements tels que des neuvaines, des messes et des chemins de croix faits en groupe, le site n’accueille pourtant plus de grandes manifestations de la piété populaire comme autrefois. Au début des années 2000, le lieu de pèlerinage n’attirait plus les foules depuis longtemps, et se trouvait dans un état lamentable. Une vaste entreprise de restauration, initiée par la paroisse et appuyée par les villageois, s’est achevée avec succès en 2016. Des artistes et artisans de la région ont notamment mis la main à la pâte afin de redonner aux œuvres un certain éclat.

Le site est aujourd’hui fréquenté par les promeneurs pour la beauté de son panorama : il n’est pas rare d’y croiser une jeune maman avec son bambin en poussette, des joggeurs, des cyclistes, et même des enfants glissant en traîneau sur les sentiers pendant l’hiver. Je ne saurais dire si on y voit encore des fidèles prier le chapelet ou méditer les mystères de la Passion du Christ, comme ma famille et moi aimons le faire de temps en temps, un vendredi après-midi. Disons à tout le moins que le cadre s’y prête encore. C’est de toute façon une excellente chose que la montagne du calvaire soit un lieu ouvert à tous, sans qu’on ait eu besoin, pour ce faire, de le dépouiller de sa fonction religieuse première. Et compte tenu de l’ambiance touristique hyperfestive de Saint-Élie, la tentation de le faire devait être grande, j’imagine. Ceci a quelque chose de réjouissant lorsqu’on met ce cas en parallèle avec les centaines de bâtiments religieux du Québec qui ne doivent leur survie qu’à l’abandon de leur fonction de lieu de culte. Évidemment, conserver la vocation spirituelle d’un site en plein-air doit être plus facile que de maintenir en fonction une immense église désertée et décrépite, qu’il faut chauffer en hiver…

Par ailleurs, une stèle de granit érigée au sommet de la montagne en 1995 affiche ce vœu candide : « La foi de nos ancêtres a édifié ce calvaire / Que la nôtre le maintienne ». Il est vrai que c’est tout de même grâce à une poignée de croyants, soutenus sans doute par des « catholiques culturels » et des gens attachés à leur patrimoine, que le site est encore un calvaire; on aurait pu en faire simplement un belvédère. Mais le Christ et sa croix sont partout, à chaque détour du sentier, parmi les feuillages et les écureuils. Les figures de Jésus et des deux larrons brillent au sommet, leur peinture dorée étincelant de mille reflets au soleil.

Et si le calvaire de Saint-Élie faisait démentir l’idée généralement répandue que pour sauver le patrimoine religieux, il faut absolument le dissocier de la religion, c’est-à-dire de la foi?

 

3 Commentaires

  • Mataï Cright
    6 octobre 2022 à 23 h 27 min

    Excellent article d’une grande pertinence à une époque où on veut faire disparaitre le souvenir même de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
    Cela fait réfléchir sur le rôle de chacun d’entre nous sur le rôle que nous avons à jouer dans la transmission de notre patrimoine et de la Foi de nos ancêtres.
    Merci beaucoup et union de prières !

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  • Marcel Meunier
    7 octobre 2022 à 6 h 42 min

    Madame Agathe Chiasson-Leblanc, merci pour cet article très touchant. Enfin un peu de répit par rapport au désastre qu’est la destruction de notre patrimoine religieux. C’est tout à l’honneur des résidents bénévoles de Saint-Élie-de Caxton d’avoir réalisé ce beau projet de conservation. Soyez-en fiers !

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  • […] saura faire sourire plus d’une fois le lecteur avisé, comme dans cet exemple tiré de l’article sur le calvaire de Saint-Élie-Caxton : “Le village de Saint-Élie-de-Caxton, avant de voir apparaître des traverses de lutins et […]

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