Sanctuaires et pèlerinages

Pèlerinage au pays des missionnaires et des Wendats

En périphérie de la petite ville de Midland, en Ontario, s’élève une église de pierre à deux clochers, juchée sur une colline. Son emplacement surélevé et sa stature imposante contrastent avec son décor intérieur feutré, doux, invitant au recueillement. Le Martyrs’ Shrine (Sanctuaire des Martyrs), trésor peu connu des Québécois, sert d’écrin aux reliques des Saints Martyrs canadiens qui ont vécu, ont souffert et sont morts près de ce lieu sacré.

Nourrissant depuis quelques années une passion pour l’histoire de la Nouvelle-France, j’ai été étonnée de découvrir, au fil de lectures liées à mon travail, que tout un pan de l’histoire religieuse des débuts de la nation se trouve…en Ontario. Je ne connaissais pas, ou peu, l’épopée des missionnaires jésuites en Huronie, et l’histoire du peuple wendat. Puis, des amis m’ont prêté un livre sur saint Jean de Brébeuf[1]. Subjuguée par cette figure éblouissante, j’ai désiré aller prier en pèlerine ce saint et ses compagnons dans le sanctuaire national qui leur est dédié.

Avis à ceux qui voudraient comme moi entreprendre ce pèlerinage : chaque visiteur adulte doit débourser dix dollars pour accéder au site du sanctuaire et ce, même pour assister à la messe. Je n’avais encore jamais vu un lieu de culte faire payer les fidèles pour prier ou communier, et je dois dire que j’en ai été un peu choquée. Toutefois, même si je demeure contre cette pratique, l’onction particulière qui enveloppe ce lieu, son atmosphère absolument unique et la grâce presque palpable qui en émane valent vraiment l’expérience.

Une église comme une maison longue

Construite en 1926, soit un an après la béatification des huit martyrs canadiens, l’église Saint-Joseph (car tel est son nom) a été conçue par le père John Filion, alors supérieur provincial des Jésuites anglophones du Canada. Un sanctuaire dédié aux martyrs existait déjà dans la région depuis la fin du XIXe siècle; la nécessité d’une église plus spacieuse et plus rapprochée du site de la mission Sainte-Marie, où ont travaillé Brébeuf et les autres, a motivé son déplacement et sa reconstruction.

L’architecture intérieure de l’église, imaginée par Filion, évoque les maisons longues des wendats avec ses panneaux de bois cloisonnés. La voûte rappelle quant à elle un canot d’écorce renversé. Les travaux ont d’ailleurs été réalisés par des constructeurs de bateaux (ship builders) de la région[2]. Le reste du décor, sobre et harmonieux, presque intime, favorise la prière et la contemplation. Même les saintes reliques, dont la moitié du crâne de Jean de Brébeuf, sont tout à fait accessibles et exposées sans ostentation, outre leur châsse dorée. Placées à droite de la nef, elles sont précédées d’un agenouilloir et entourées de chaque côté de béquilles laissées en ex-voto par les pèlerins.

 

Vitrail de l’église illustrant saint Jean de Brébeuf et le Huron Joseph Chiwatenhwa.

Un lieu vivant

Bien que l’on fasse mémoire de martyrs et d’événements tragiques en cet endroit, le Sanctuaire est un lieu vivant et lumineux, où il fait bon passer du temps. Les prêtres jésuites y exerçant leur ministère, très affables, ne sont pas avares de bénédictions, de conseils et de conversations spontanées. Plusieurs parlent bien le français, et plusieurs viennent de pays lointains (dont l’Inde), à l’image des pèlerins issus de diverses nations. La fréquence des messes (trois ou quatre par jour), l’accessibilité et la discrétion du confessionnal (situé à l’arrière de l’église, un prêtre y est en poste en tout temps), une liturgie simple mais empreinte de révérence (il s’agit de la messe des Saints Martyrs canadiens, avec prières spéciales, vêtements et ornements rouges), et des homélies riches d’enseignement font du Sanctuaire un lieu de croissance spirituelle, bref, un lieu sanctifiant. Derrière l’église, des parterres immenses, sillonnés de sentiers et ponctués de statues, d’autels et d’aires de pique-nique, contribuent au charme du site, ouvert du début mai à la mi-octobre.

 

Pour compléter le pèlerinage

Ceux qui entretiennent une dévotion particulière à saint Jean de Brébeuf et aux martyrs canadiens, les amateurs d’histoire ou tout simplement les curieux se doivent de visiter deux autres sites « satellites » du Sanctuaire des Martyrs.

Saint-Ignace II

Le site de l’ancien village huron nommé Saint-Ignace II par les missionnaires, à environ une dizaine de kilomètres à l’est du Sanctuaire, est le lieu du martyre de Jean de Brébeuf et de Gabriel Lalemant. C’est en effet à cet emplacement que les deux prêtres ont été torturés et tués par des Iroquois en mars 1649. Aujourd’hui simple clairière dans la forêt, le site comprend un petit autel en pierre où sont célébrées des messes à l’occasion.

Enfin, directement en face du Sanctuaire se trouve le site historique Sainte-Marie-des-Hurons, qui correspond à la mission Sainte-Marie ayant servi de quartier général aux jésuites durant une dizaine d’années au milieu du XVIIe siècle. Entièrement reconstruite d’après les fouilles archéologiques effectuées sur les lieux, la mission est un véritable village palissadé comprenant deux chapelles, des ateliers d’artisans, une étable, un jardin, des maisons longues huronnes et même un cimetière où furent enterrés Français et autochtones. Des animateurs en costume d’époque abordent les visiteurs, qui peuvent entrer à leur gré dans chaque bâtiment.

À l’intérieur de la chapelle des Hurons, dans une sorte d’enclos à l’arrière de la nef, se trouve la sépulture de Jean de Brébeuf et de Gabriel Lalemant. C’est ici que leurs confrères ont enterré les restes de chair des deux martyrs, tandis que leurs ossements, précieusement conservés, sont encore vénérés comme reliques à divers endroits[3]. Un simple carré de sable, une croix faite de cailloux, un écriteau à peine visible… On pourrait passer devant cette tombe sans la voir. Et l’humilité de cette sépulture, dépouillée de tout comme le fût la vie héroïque de ces apôtres, est ce qui la rend si émouvante.

 

[1] LATOURELLE, René. Jean de Brébeuf, Montréal, Bellarmin, 1993, 296 p.

[2] Ces informations proviennent du site web du sanctuaire : https://martyrs-shrine.com/construction-of-the-church-of-st-joseph/

[3] Notamment à Québec, dans la chapelle des Augustines.

 

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