Patrimoine funéraire

Le patrimoine des cimetières

Novembre, mois des morts : voici une occasion de présenter, en un petit survol, ce qui distingue les lieux où nous ensevelissons nos défunts. À quoi ressemble un cimetière catholique typique du Québec? Que signifient les éléments qui s’y trouvent? Et en quoi les pratiques funéraires d’aujourd’hui changent-elles l’aspect de ces sites?

Forme et caractéristiques du cimetière

Traditionnellement, les cimetières paroissiaux du Québec étaient aménagés dans un enclos adjacent à l’église. En attente de la résurrection, les catholiques ont toujours voulu être inhumés dans un sol béni, le plus près possible de l’église, voire sous l’église elle-même : c’est le cas des cryptes, ou cimetières ad sanctos (« près des saints »). Cette dernière pratique, qui a eu cours jusqu’aux années 1960, était cependant plus rare et plus coûteuse; on trouve surtout dans les cryptes d’églises des tombeaux de seigneurs et de curés. Quant au commun des mortels, il avait sa place au cimetière paroissial, lequel était délimité par une clôture dans le noyau villageois.

La plupart des cimetières sont composés de rangées de stèles plus ou moins rectilignes, réparties de chaque côté d’une allée centrale où est érigé un calvaire (parfois simplement une grande croix). Pourquoi un calvaire dans les cimetières? Parce que le Christ crucifié, mort pour racheter nos péchés, rend possible le salut des âmes de toute l’humanité, c’est-à-dire qu’il nous obtient la vie éternelle auprès de Dieu. Il s’agit donc d’un signe suprême d’espérance, au lieu où nous en avons le plus besoin. Certains calvaires de cimetière sont installés sur un petit monticule symbolisant le Golgotha (montagne où a été crucifié Jésus), ou sur une plate-forme bétonnée accessible par des marches. On retrouve parfois les personnages de la Vierge, de saint Jean et de Marie-Madeleine en plus de la figure du Christ, rappelant la scène de la crucifixion telle que décrite dans les évangiles. Certaines sculptures sont polychromes, mais le plus souvent elles sont peintes en blanc ou de couleur dorée.

Outre le terrain gazonné et les arbres sur le pourtour du cimetière, il y a habituellement peu de végétation sur le site. Les cimetières-jardins, sortes de grands parcs aménagés par des architectes-paysagistes, constituent une catégorie à part; cette vogue découlant du mouvement romantique européen a surtout marqué les grandes villes au XIXe siècle. Par ailleurs, à partir de cette même époque, plusieurs cimetières paroissiaux ont été déplacés en périphérie des municipalités pour des raisons d’hygiène, d’urbanisme et souvent de manque d’espace. Ceci a pour effet malheureux de créer une coupure visuelle et symbolique entre les deux lieux sacrés que sont l’église et le lieu de repos des morts.

Les richesses du patrimoine funéraire

 Même les cimetières « ordinaires » recèlent des petits trésors, et il est toujours intéressant, pour un œil averti, de s’y promener. Certaines personnes un peu bizarres, comme moi, aiment scruter les vieilles tombes à la recherche de prénoms archaïques disparus… Mais passons, ce n’est pas de cela que je veux parler.

Charnier

Mis à part les calvaires, plusieurs éléments méritent notre attention, comme par exemple les charniers. Ces petits bâtiments, que l’on pourrait aisément prendre pour des remises et qui, de fait, servent aujourd’hui à l’entreposage d’équipements, étaient utilisés pour conserver les dépouilles des défunts décédés pendant l’hiver. Avant l’apparition de la machinerie permettant d’excaver le sol gelé, les tombes étaient creusées à la pelle et il était impossible d’enterrer les défunts en plein cœur de l’hiver. En attendant le printemps, on devait donc entreposer les cercueils dans ce petit bâtiment rectangulaire marqué d’une croix.

Tombeau familial

Les mausolées ou tombeaux familiaux, aussi appelés chapelles funéraires, ponctuent bon nombre de cimetières. Ressemblant à des églises miniatures, ces petites constructions servent à l’inhumation de plusieurs membres d’une même famille, et comportent souvent un autel pour des messes et des offrandes. Leur architecture peut être élaborée ou d’inspiration néoclassique, mais toujours, le nom de la famille est inscrit en grosses lettres sur la façade.

Les stèles funéraires les plus anciennes ont pour la plupart été érigées entre 1880 et 1920 et se distinguent par leur forme allongée : ce sont des obélisques, des colonnes ou des piliers couronnés d’une croix. Sauf exceptions, les stèles antérieures, fabriquées en bois, sont disparues. Dans certains cimetières, on peut voir des monuments plus ostentatoires, dédiés à la mémoire de personnalités publiques ou commémorant des événements historiques (guerre de 1914-1918, sépulture d’un ministre, etc.).

Croix en fer forgé

Les croix en fer forgé, à l’instar des clôtures et des portails de cimetières réalisés avec le même matériau, sont un héritage laissé par les forgerons de village. Ces objets, devenus rares aujourd’hui, étaient souvent façonnés avec des morceaux de métal récupéré qu’on apportait à l’artisan. Il peut s’agir de stèles funéraires à proprement parler, ou de grandes croix érigées en guise de calvaire.

Enfin, plusieurs cimetières comportent un chemin de croix, c’est-à-dire un ensemble de quatorze scènes (ou groupes sculptés) illustrant les étapes de la Passion du Christ. Comme le calvaire, cette composante du cimetière catholique nous éclaire sur le sens de la souffrance et de la mort, vécues et vaincues par le Sauveur.

Le nouveau rapport à la mort

Durant les dernières décennies, on a pu observer une certaine uniformisation des stèles funéraires, à peu près toutes conçues d’après le même modèle : bas et trapu, en granit gris, noir ou rosé. De même, l’aménagement des cimetières est plus fonctionnel, parfaitement aligné et donc un peu monotone. Ceci est sans doute dû au mode de fonctionnement de ce que l’on appelle maintenant l’industrie funéraire, dirigée par quelques grandes entreprises qui offrent un service « tout inclus ».  Certains cimetières appartiennent à ces entreprises, ou à des corporations qui regroupent souvent plusieurs lieux de sépulture.

La crémation constitue également une pratique de plus en plus répandue et a entraîné l’apparition, dans les cimetières, de colombariums (structures dotées de niches pour y placer des urnes). Longtemps désapprouvée par l’Église, la crémation ou incinération est en effet étrangère au catholicisme, dont la foi en la résurrection de la chair s’est toujours exprimée par l’ensevelissement des corps. Depuis les années 1960, la crémation est tolérée par l’Église à condition de respecter certaines règles pour la conservation des cendres, qui doit se faire dans un lieu sacré comme un cimetière catholique.

Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport du Québec contemporain à la mort[1]. De façon générale, la mort ne fait plus partie de la vie : elle est cachée, oubliée, déritualisée et traitée de manière expéditive lorsqu’on doit absolument y être confronté. On a parfois l’impression que si le service à l’auto existait dans le domaine des funérailles, beaucoup de gens très occupés y auraient recours. Quant à la foi catholique dans tout cela, elle est évidemment de plus en plus écartée, avec des cérémonies « neutres » (c’est-à-dire désincarnées et étranges) tenues dans les salons funéraires plutôt qu’à l’église, et des pierres tombales sans croix ni aucun signe chrétien. C’est pourtant face à la mort que l’on se doit d’insuffler l’espérance! Dans la souffrance du deuil, les cœurs peuvent chercher à se rapprocher de Dieu; c’est le moment ou jamais de faire connaître Celui par qui le repos, la joie et l’amour sans fin sont possibles. Protégeons donc le patrimoine funéraire, qui crée un pont entre l’au-delà et notre vallée de larmes.

 

 

 

[1] À ce sujet, je vous invite à écouter cette excellente chronique d’Emmanuel Lamontagne, à l’émission de radio du Verbe : https://www.youtube.com/watch?v=I09E1GsFGGQ. On peut également lire l’article qui l’accompagne : https://le-verbe.com/idees/apologie-rites-funeraires/

1 commentaire

  • Daniel Laplante
    22 novembre 2022 à 2 h 06 min

    Visiter le RepertoireDesDefunts.com pour y parcourir une liste grandissante des cimetières qui tentent de préserver le patrimoine funéraire. Le nombre de cimetières ne cesse de grandir grace à la mise à la disposition des données de paroisses sur l’internet.

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