Rites et traditions

Le chapelet suspendu au rétroviseur

Voici un petit jeu bien distrayant à essayer la prochaine fois que vous aurez à attendre quelqu’un dans un stationnement : observez tous les véhicules autour de vous, et remarquez les objets accrochés au rétroviseur. Puis, comptez les chapelets et les croix. Je parie que le nombre vous surprendra. Il faut dire que l’exercice fonctionne peut-être mieux dans un stationnement d’épicerie d’une petite ville de région, et bien sûr à la campagne.

La pratique consistant à accrocher un chapelet au miroir de l’auto est certes moins courante de nos jours, mais elle est encore un signe tangible du « moule catholique » du Québec. Dans plusieurs cas, on peut supposer qu’il s’agit en quelque sorte d’un atavisme, c’est-à-dire d’un instinct héréditaire : on perpétue les traditions de la famille, de notre éducation, on reproduit ce qu’on a toujours vu faire, et puis, on n’a rien à perdre à s’attirer la protection divine! C’est comme le crucifix au-dessus de la porte d’entrée des maisons rurales, ou les niches à la Vierge placées devant les maisons. Bien sûr, ces gestes sont aussi le fait de personnes profondément croyantes, mais comme leur nombre semble plus élevé que celui des fidèles fréquentant l’église et ses sacrements, une certaine habitude culturelle n’est pas à exclure.

Pour les plus pieux, le chapelet dans l’auto va avec d’autres choses : bénédiction de la voiture par un prêtre, médaille de saint Christophe (patron des automobilistes) ou d’autres saints, figurine de la Vierge aimantée ou collée au tableau de bord, cartes de prière rangées dans le pare-soleil… Tout cet attirail est regardé de haut comme étant de la superstition par plusieurs, et même par certains catholiques. En effet, depuis les années 1960 et le concile Vatican II, cette « religion du peuple » axée sur les pratiques rituelles et l’importance des images a largement été mise de côté au profit d’une foi plus intellectualisée. Le dépouillement des églises modernes et l’épuration de la liturgie (qui dans son interprétation la plus courante, a plutôt pour effet l’appauvrissement de la liturgie, malheureusement) s’inscrivent dans cette mouvance. À ce sujet, citons l’ethnologue Jean Simard :

« Comme on a du même coup enveloppé d’un mépris à peine voilé la récitation du chapelet, les processions de la Fête-Dieu, les images en dentelle, les miracles de la bonne sainte Anne et les services de première classe, les gens ordinaires se sont sentis un peu trahis par ceux-là mêmes qui les avaient tant incités à ces pratiques. »[1]

 

Médaille de saint Christophe

Par ailleurs, la publication par le pape Paul VI de la lettre apostolique Mysterii paschalis[2], en 1970, a eu pour effet le retrait de plusieurs saints du calendrier liturgique, dont le fameux saint Christophe affectionné des voyageurs. L’histoire de ce saint des âges anciens, qui serait mêlée à plusieurs légendes, nous dit que cet homme de géante taille aurait aidé l’Enfant Jésus à traverser un cours d’eau en le portant sur ses épaules. Malgré la confusion suscitée dans le monde catholique par le « déclassement » d’une quarantaine de saints de ce genre (notamment afin de permettre d’honorer plusieurs autres saints du monde entier et de toutes les époques, précisons-le), il est étonnant de constater que la dévotion à ces figures est toujours bien vivante. Les médailles de saint Christophe sont encore présentes dans les magasins d’objets de piété, et dans les voitures.

Et nous sommes encore quelques-uns à suspendre un chapelet au rétroviseur. Certains les collectionnent, d’autres encore ont une prédilection pour un type de chapelet en particulier (il en existe des centaines de sortes). Il y a même au Québec un artisan qui fabrique tous les types de chapelets : un patenôtrier[3]. Rares sont ceux qui exercent aujourd’hui ce métier, dont le beau nom vient de Pater Noster (Notre Père).

Les chapelets et les objets de piété dans les voitures ont plusieurs fonctions : signes rassurants de la présence de Dieu en cas de nervosité au volant (personnellement, j’adhère volontiers à cet usage « thérapeutique »…), supports à la prière, objets bénis attirant la protection contre les accidents, témoignage de foi visible par tout le monde, chapelet à portée de main quand on est pris dans le trafic ou quand on a une longue route à faire, etc.  Pas mal plus utile qu’un petit sapin en carton parfumé ou des dés en peluche! À ce propos, je tiens à souligner que l’objet le plus populaire sur le rétroviseur des voitures est un capteur de rêves. D’après mes connaissances limitées de la spiritualité autochtone, cet objet a pour fonction de protéger le sommeil de son propriétaire en retenant les mauvais rêves. Or, est-on supposés dormir au volant? Je n’ai jamais trop compris cela.

« Prenez garde, restez éveillés : car vous ne savez pas quand ce sera le moment. » (Marc 13, 33)

 

Un accident est si vite arrivé. Plaçons notre confiance en la Providence (et accessoirement, en nos pneus d’hiver neufs)!

 

[1] SIMARD, Jean. Le Québec pour terrain. Itinéraire d’un missionnaire du patrimoine religieux. Les Presses de l’Université Laval, 2004, p.5

[2] https://www.vatican.va/content/paul-vi/en/motu_proprio/documents/hf_p-vi_motu-proprio_19690214_mysterii-paschalis.html

[3] Monsieur Roland Ricard, de Charlesbourg. Voir cet article : https://www.lesoleil.com/2017/03/10/le-patrimoine-vivant-919aa7f94710b987126c4c111eb87eda et aussi cette fiche d’inventaire : http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=794

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