« Jésus est né », c’est ce que signifie le titre de ce cantique de Noël aussi connu comme le Noël huron. Composé vers 1641-1642 et attribué à saint Jean de Brébeuf (l’auteur pourrait aussi être son confrère jésuite Paul Ragueneau, qui maîtrisait très bien la langue wendate également), il s’agit du plus ancien chant de Noël au Canada et du premier chant en langue autochtone mentionnant le nom de Jésus.
Depuis quelques décennies, Jesous Ahatonhia est l’un des cantiques canadiens les plus chantés durant les Fêtes, que ce soit dans sa version originale wendate ou dans ses traductions française et anglaise. Il est connu dans toute l’Amérique du Nord – il a été interprété par des peuples vivant aussi loin que les Navajos dans le sud des États-Unis – et même ailleurs dans le monde. Il en existe des versions orchestrales, des versions autochtones, des interprétations par des chanteuses et chanteurs pop ou folk, et le chant a même inspiré une série de timbres-poste créée en 1977.
Malgré la popularité et l’importance historique de ce chant, le rapport qu’entretiennent plusieurs Autochtones avec ce dernier est mitigé. Tandis que plusieurs nourrissent un attachement filial envers ce cantique que chantaient leurs ancêtres, certains le regardent avec dédain comme un symbole colonialiste ou comme une tentative de remplacement de leur culture et de leurs croyances par une religion étrangère. Personnellement, je crois plutôt que l’œuvre est un pont entre le catholicisme et la vision du monde wendate – et plus largement, autochtone – de même qu’une touchante invitation à construire une vraie fraternité humaine dans le Christ. Mais d’abord, voyons un peu l’histoire de ce noël si particulier.
Chanter la nativité…dans les forêts de la Huronie
Les premiers missionnaires ayant vécu avec les Hurons-Wendats au XVIIe siècle ont rapidement remarqué l’importance du chant pour cette nation – il existerait huit mots différents dans la langue wendate pour désigner le chant dans ses divers contextes -, et l’intérêt marqué des Autochtones en général pour la musique. Jean de Brébeuf et ses compagnons s’émerveillaient de voir les Hurons mémoriser de longues prières lorsqu’elles étaient transposées en chant, dans leur propre langue.
Pour expliquer le mystère de l’Incarnation du fils de Dieu, quoi de mieux qu’une chanson? Surtout si la chanson adopte un rythme assez proche de la musique des Hurons, puis un vocabulaire et des concepts qui leur sont familiers. L’auteur – Brébeuf ou Ragueneau – a donc pris la mélodie d’un chant populaire français du XVIe siècle, appelé Une Jeune Pucelle, et a composé des paroles racontant la Nativité en y incluant des référents culturels que les Autochtones pouvaient comprendre. Par exemple, en parlant d’esprits et du « peuple du ciel » pour parler des anges et des saints, ou en assimilant les mages à des chefs de nations ou des aînés. Mais la trouvaille la plus géniale est celle-ci : au lieu d’offrir des présents (or, myrrhe et encens) à l’Enfant-Dieu, les mages lui « huilent le scalp » avec respect, geste qui constituait un grand honneur chez les Hurons, mais aussi chez les Juifs du temps de Jésus!
Si vous connaissez la version française du Noël huron, vous vous demandez sans doute de quoi je parle. C’est parce que la « traduction » française du chant wendat est plutôt une interprétation libre…rédigée environ 250 ans plus tard! En effet, il n’existe aucune trace écrite du chant original, qui s’est transmis oralement de génération en génération chez les Hurons-Wendats de Wendake jusqu’en 1794. Cette année-là, le dernier jésuite à avoir travaillé dans cette mission recueille les paroles, en langue autochtone, chantées par les aînés de la communauté. Ce n’est qu’en 1899 que Paul Picard, un notaire wendat habitant à Québec, compose une version française du chant, inspirée de l’originale tout en étant très différente. Ici, pas d’onction du scalp; les paroles sont plus près du récit évangélique, mais n’incluent pas de références à la culture wendate.
Le même phénomène se reproduit de façon plus accentuée en 1927, quand Jesse Middleton, un Canadien anglais, produit une version anglaise du cantique. Les paroles s’éloignent du texte original, mais ironiquement, se veulent plus « amérindiennes »! L’auteur use d’images un peu folkloriques : les mages, des chasseurs nomades, offrent des fourrures à Jésus, qui est couché dans une cabane d’écorce et enveloppé d’une peau de lapin. Mais surtout, Middleton emploie des termes algonquins et non wendats, comme Gitchi Manitou pour dire Dieu.
Plus récemment, des interprètes ont choisi de reformuler cette version anglaise pour la rendre plus près de l’œuvre de Brébeuf; ce travail ne semble toutefois pas avoir été fait en français.
La foi catholique ne détruit pas les cultures
Pour ceux qui rejettent le christianisme, tout ce qui est chrétien est vu comme assimilateur ou mauvais. Or, le message du Christ est au contraire libérateur. Et sa diffusion auprès de toutes les nations, commandée par Jésus lui-même, se veut unificatrice et salvatrice, non destructrice. Comme je l’ai dit dans mes articles sur les Saints Martyrs canadiens, avec saint Jean de Brébeuf, on est loin des pensionnats macabres institués plus tard (par le gouvernement canadien).
Dans les paroles de la chanson originale wendate, certains ont relevé un passage qui renierait la spiritualité des Hurons parce qu’étant diabolique. Ce passage se traduirait à peu près comme suit : « Le mauvais esprit qui nous tenait prisonniers s’est enfui / Ne l’écoutez pas, il corrompt notre âme ». Mais en fait, il suffit de prêter attention aux paroles de tous les cantiques de Noël traditionnels en français pour s’apercevoir que la même chose est répétée à tout le monde, de toutes les façons : la naissance du Sauveur fait reculer le démon, qui enchaînait l’humanité. À une certaine époque, surtout au XIXe siècle, on insistait beaucoup sur le diable et l’enfer dans les chants et les prêches, et le ton pouvait même être assez pathétique; pensons au célèbre Minuit, chrétiens qui parle de chaînes, de fers, d’esclaves [1]… À côté de ça, Jesous Ahatonhia est complètement lumineux! Surtout les dernières lignes, qui parlent de l’amour de Jésus et de son désir d’adopter ce peuple pour l’inclure dans sa famille.
Diversité et universalisme
Et d’ailleurs, on pourrait dire que Jesous Ahatonhia ne s’adresse pas spécifiquement aux Hurons, puisque la première phrase est : « Vous les Humains, prenez courage! »
Une bonne œuvre d’art – que ce soit une chanson, une peinture, un livre, etc. et qu’elle soit inspirée ou non par la foi– devrait toujours comporter quelque chose d’universel. C’est pour cela que le patrimoine culturel de toutes les nations, qui forme un grand trésor appartenant à toute l’humanité, devrait pouvoir s’échanger et se transmettre entre personnes de diverses cultures. D’où l’absurdité, selon moi, du concept « d’appropriation culturelle » ou d’exclusivité liée à des critères ethniques. Il est possible de préserver l’apport unique de chaque culture tout en visant l’universalisme.
La foi et l’art sont évidemment deux choses différentes, mais ont quelques aspects en commun. Le catholicisme, dont l’étymologie signifie par ailleurs « universel », peut et doit s’enrichir de toutes les cultures du monde tout en enseignant le même message fondamental à tous. Laissons-nous inspirer par ce beau chant de Noël qui a su amalgamer avec brio une mélodie populaire de la Renaissance française, un récit des Évangiles et des éléments de la culture traditionnelle wendate.
[1] Il faut spécifier que le chant Minuit, chrétiens utilise aussi un vocabulaire et des notions qui seraient liés à l’esprit révolutionnaire de la France de 1848. Sur l’histoire passionnante de ce chant, voir : https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/aujourd-hui-l-histoire/segments/entrevue/468692/minuit-chretiens-cantique-noel-messe-fetes
2 Commentaires
Élise Frigon
22 Décembre 2024 à 23 h 42 minBonjour Agathe, je me suis régalée de ta chronique sur les traditions québécoises d’antan.
Peut-être à cause de mon âge, mais ça me parlait beaucoup !
Je veux toutefois te spécifier qu’à la Basilique Notre-Dame-du-Cap, il y a une messe de
minuit à chaque année. Il y en aura donc une dans deux jours. Bon à savoir pour les nostalgiques.
La version de Jesus Ahatonnia/Noël Huron Wendat dégage une grande paix lorsqu’on l’entend
les yeux fermés … et le coeur ouvert.
J’ai trouvé la version de Bruce Cockburn très intéressante aussi.
Merci pour ces bijoux et Joyeux Noël
Agathe Chiasson-Leblanc
23 Décembre 2024 à 13 h 58 minMerci pour ces précisions, Élise!