Patrimoine du Québec / Patrimoine rural

Le frère Marie-Victorin chez les Madelinots

En août dernier, avant d’aller passer mes vacances sur ma terre natale, je me suis replongée dans la lecture des Croquis laurentiens du frère Marie-Victorin. Le célèbre botaniste-écrivain a tellement été séduit par les Îles de la Madeleine, qu’il a consacré pas moins de la moitié de cette œuvre à en décrire chaque canton, chaque partie. Avec son lyrisme particulier, mais aussi avec son regard d’homme de foi, il esquisse un portrait touchant des insulaires, dont la vie simple se rapprocherait de l’Évangile, « écrit beaucoup par des pêcheurs ».

Pour la réhabilitation du gentilé Madelinote 

Publié en 1920 par les Frères des Écoles chrétiennes, dont Marie-Victorin faisait partie, ce recueil illustré par les belles gravures d’Edmond-J. Massicotte présente quelques voyages et excursions effectués par l’auteur dans des régions charmantes ou méconnues du Québec. Avec Récits laurentiens, paru l’année précédente, le livre témoigne des talents littéraires de Marie-Victorin et de son ardent patriotisme. Fait important à souligner, cet ouvrage est à l’origine du gentilé Madelinot et de sa forme féminine, Madelinote. Dans des circonstances obscures que j’ai tenté en vain de retracer, la forme Madelinote aurait été changée de façon arbitraire dans les années 1960 à cause de sa sonorité qui rappelait trop l’insulte « tête de linotte » … Ce qui fait que l’on dit aujourd’hui « les Madelinots et les Madeliniennes », un non-sens qui m’a toujours dérangée. Qui a décidé cela, un conseil municipal? Personnellement, je plaide pour redevenir une Madelinote. Je préfère la logique et la filiation à Marie-Victorin, et je ne crains pas (ou si peu…) de passer pour une tête de linotte.

Un portrait émouvant

À l’époque, Croquis laurentiens fait découvrir aux Québécois les Îles de la Madeleine, lieu sauvage et isolé, foyer de conservation des coutumes et de la « parlure » de la vieille Acadie. Il y a de quoi étonner quand on compare ses descriptions avec l’image actuelle de l’archipel, envahi chaque mois de juillet par la horde des 70 000 touristes à la recherche de cette authentique rusticité…

N’empêche que je m’interdis, contrairement à d’autres, de tomber dans le cynisme et de voir dans le long dithyrambe de Marie-Victorin que des clichés « qui font aujourd’hui sourire ». Je suis profondément émue par la beauté de ces écrits, et je ne peux m’empêcher d’y voir un portrait véridique, dont plusieurs traits subsistent encore chez les actuels madelinots : d’abord la langue et les accents uniques, mais aussi la simplicité de caractère, l’hospitalité, l’attachement à l’identité acadienne, le mode de vie tributaire des variations de la température changeante…Un passage me fait particulièrement rire, quand l’auteur souligne l’intolérance des Madelinots face à la chaleur : « Bien que la température soit simplement agréable, presque tout le monde souffre de la chaleur qui, du consentement général, est atroce. [..] pour ma part, j’aurais hésité à quitter le gilet de laine. » (p.221) Je peux confirmer que les « vrais » Madelinots suffoquent encore aujourd’hui quand il fait au-dessus de 20 degrés!

Le religieux s’attarde aussi à la piété des Madelinots, notamment lorsqu’il a l’occasion d’assister le 15 août à une fête villageoise en l’honneur de L’Assomption de la Vierge, solennité qui est aussi la fête nationale des Acadiens. À Havre-aux-Maisons, les fidèles réunis dans une école, en l’absence de prêtre, chantent l’Ave Maris Stella et récitent des prières avant d’écouter un jeune orateur (Paul Hubert, premier historien des Îles) faire un discours patriotique dont voici un extrait :

« Nous sommes patients. Plus que tout autre peuple nous avons été associés à la passion du Christ. Chassés de rivage en rivage, peuple d’agneaux, nous avons partout cédé la place au loup. On nous a pris et repris nos terres, on nous a pris nos richesses, on nous a pris nos enfants, mais il est deux trésors que l’on n’a pas pu nous prendre, parce qu’ils tenaient au domaine inviolable de l’âme : notre langue française et notre foi catholique! » (p.225)

 

Voilà un genre de discours qui n’est plus très à la mode, un siècle plus tard.

Le nivellement de la modernité 

Marie Victorin se réjouissait, aux Îles, de découvrir un coin de pays épargné par les ravages de la modernité « au milieu d’un siècle acharné à niveler toutes les différences et à détruire le pittoresque » (p.147). C’était avant le tourisme de masse, mais surtout avant la télévision. Mon enfance « madelinote » s’est passée en grande partie devant la télé, ce bulldozer qui aplatit tous les reliefs culturels. Comme tous les jeunes québécois de ma génération, j’ai regardé Watatatow et autres insipidités, et je me suis efforcée de me conformer à la langue et à la mode « d’en dehors », c’est-à-dire du continent. La génération de mes parents a fait de même avant moi, et les réseaux sociaux d’aujourd’hui achèvent sans doute ce travail d’homogénéisation. L’identité acadienne? Je la redécouvre aujourd’hui, tout comme la foi catholique qui est intrinsèque à cette culture soumise à la mer et à la Providence.

Comme je ne maîtrise pas la prose « marie-victorine », je termine ce billet en citant une chanson apprise durant mon enfance, et que je chante parfois moi-même à mes enfants. Composée par sœur Saint-Alcide (Rose-Délima Gaudet), de la Congrégation de Notre-Dame, elle a pour titre Il existe un coin charmant :

Il existe un coin charmant, dans les eaux de l’Atlantique / Îles à l’aspect féérique / En plein Saint-Laurent / Ce coin de terre acadienne / Que vous aimez comme moi / Îles de la Madeleine / Garde notre foi!

Refrain

Vive donc! / Vive nos Îles! / Que le Bon Dieu créa jadis / Dans les eaux / Si fertiles / Qui baignent nos caps jolis / Vive nos belles Îles / Au ciel serein, au sol béni!

 

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