Art sacré

Qui connaît le peintre Louis-Eustache Monty?

Durant l’âge d’or du catholicisme au Québec, le travail ne manquait pas pour les artistes talentueux et entreprenants. L’industrialisation des villes québécoises, au début du XXe siècle, entraînait la création de nouvelles paroisses dans les quartiers ouvriers, et donc la construction de nouvelles églises. C’était l’époque des somptueux décors peints : l’œuvre des figures dominantes de cette catégorie des arts sacrés, comme Ozias Leduc et Guido Nincheri, est bien connue. Mais qui connaît le peintre Louis-Eustache Monty, auteur de la décoration murale de près de deux cents églises? Malgré son importante production, l’artiste demeure méconnu du public.

Le Christ à Gethsemani. Église de Ste-Thècle. © Valérie Tremblay

Formé à la bonne école

Jésus chassant les marchands du temple. Église de Ste-Thècle. © Valérie Tremblay

Né à Saint-Césaire en 1873, Louis-Eustache Monty est le fils d’un épicier qui s’installe peu après à Maisonneuve (Montréal). Retiré tôt de l’école à cause de problèmes financiers, Louis-Eustache est placé en apprentissage auprès de Napoléon Bourassa à l’âge de 15 ans, en 1888. Créateur multidisciplinaire, architecte et conférencier, Bourassa a formé plusieurs jeunes artistes de son temps, notamment lors du chantier de la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes, qui a servi de véritable école d’art. Durant les années 1880 et 1890, première période importante en matière de décoration murale d’églises au Québec, Bourassa est l’une des figures de proue avec François-Xavier Meloche et Joseph-Thomas Rousseau[1]. C’est d’ailleurs avec Rousseau que Monty poursuit son apprentissage, le suivant même aux États-Unis vers 1891 en tant qu’assistant. Là-bas, il se serait perfectionné en suivant des cours du soir, notamment à New-York et à Chicago.

Les débuts prometteurs 

Vers l’âge de vingt ans, Monty obtient ses premiers contrats et réalise des peintures pour des chapelles appartenant aux Frères des Écoles Chrétiennes à Montréal. À cette époque, il planifie des études d’art à Paris, comme plusieurs jeunes peintres canadiens-français. C’est ce qu’a fait son collègue Suzor-Côté, qui a également été l’apprenti de Joseph-Thomas Rousseau et avec lequel il a collaboré au décor de l’église de Sorel, sous la direction de leur maître. Alors qu’il est fin prêt à partir pour l’Europe, il se rend d’abord en Outaouais pour un contrat : un séjour qui changera finalement le cours de sa vie. En travaillant au décor de l’église Saint-Alphonse-de-Liguori à Chapeau, il fait la rencontre d’une paroissienne et la fait poser comme modèle… Elle s’appelle Stella McNeil, et devient son épouse en 1899. Pour elle, et pour fonder une famille, Monty sacrifie son projet d’études à Paris[2]. Ce qui ne l’empêchera visiblement pas d’accéder à une carrière prolifique. Rêvait-il de peindre des œuvres de chevalet et d’exposer dans les salons d’art? On l’ignore. Mais au Canada, au début du XXe siècle, le métier de peintre-décorateur d’églises offrait certainement beaucoup plus d’opportunités.

Église Saint-Paul de Grand-Mère. © François Baribeault

Cette situation fait dire à des historiens que bien des artistes de l’époque produisaient de l’art religieux non par conviction, mais par nécessité. S’il faut être honnête et concéder que c’était probablement le cas pour certains, d’autres artistes, en revanche, étaient de fervents catholiques et construisaient une œuvre qui se voulait un reflet de la gloire de Dieu. C’était le cas des meilleurs (naturellement), dont Bourassa et Leduc, ce dernier étant même mystique. En regardant la vie et l’œuvre de Louis-Eustache Monty, plusieurs détails m’amènent à penser qu’il se rangeait parmi ces créateurs habités d’une foi réelle. D’un point de vue objectif, l’art de Monty demeure loin de la perfection technique et du génie inventif d’un Leduc, de la beauté classique des œuvres de Bourassa ou de la luminosité sublime de Nincheri.  Cela dit, son œuvre est tout à fait représentative d’une période importante de l’histoire de l’art au Québec, et sa maîtrise du trompe-l’œil démontre un véritable talent de décorateur. En outre, sa vie d’artiste, sa vie de famille, et même sa vie dans le monde, pour ce que l’on en sait (car les archives à son sujet sont minces), offrent des exemples inspirants.

De l’Amérique de l’Ouest à la Mauricie 

Au début des années 1900, le couple Monty et leurs deux jeunes enfants partent pour l’Ouest canadien, où le peintre est appelé à décorer la troisième cathédrale de Saint-Boniface et quelques autres églises. Le travail les amène ensuite de l’autre côté de la frontière, au Dakota du Nord, où Monty peint plusieurs églises pour la communauté franco-américaine. L’artiste aurait pu demeurer dans l’Ouest ou aux États-Unis, où son travail était apprécié; en outre, il parlait probablement bien

Source : Patrimoine trifluvien, no.20, 2013, p.38

l’anglais, ayant vécu et travaillé en sol américain pendant sa formation. Mais pour une raison inconnue, c’est en Mauricie, au Québec, qu’il s’installe avec sa famille de 1905 à 1918, soit durant treize ans. Sans doute, le développement industriel intense de cette région offrait de nombreuses opportunités pour lui. Ainsi, sept des quinze enfants du couple Monty sont nés en Mauricie. Après avoir vécu à Yamachiche les premières années, c’est finalement à Trois-Rivières que les Monty résident, le peintre ayant un atelier rue Sainte-Marie (aujourd’hui rue Bellefeuille).

Monty travaille à la décoration d’une vingtaine de lieux de culte dans la région mauricienne. Parmi ces œuvres, mentionnons le décor en trompe-l’œil de la chapelle des Sœurs Adoratrices du Précieux-Sang (1907), où il aurait reproduit les traits de ses enfants dans les anges de la voûte, ainsi que les peintures murales des églises de Notre-Dame-de-Mont-Carmel (1913), de Sainte-Anne-de-la-Pérade (1915), de Saint-Stanislas (1916), de Saint-Narcisse (1916-1917), de Saint-Paul à Grand-Mère (1928) et de Sainte-Thècle (1930-1932). Il est également l’auteur des neuf tableaux du chœur de l’église de La-Visitation à Pointe-du-Lac, réalisés en 1915.

Même après être déménagé à Maisonneuve en 1918, l’artiste continue d’exécuter des contrats en Mauricie. C’est d’ailleurs à Trois-Rivières que Monty crée en 1927 ce qui fut probablement son œuvre majeure, et qui est disparue dans l’un des pires « désastres patrimoniaux » du Québec récent : les 34 tableaux de l’église Saint-Philippe, véritable catéchisme en images, partis en poussière avec la démolition de l’église en 2010. Considérant cette disparition, le plus grand ensemble de peintures de Monty préservé à ce jour se trouverait donc dans la région québécoise voisine, Lanaudière, soit dans l’ancienne église de Saint-Norbert (Espace culturel Jean-Pierre-Ferland). On a longtemps ignoré l’auteur de ce décor peint au début du XXe siècle, mais des recherches récentes l’ont attribué à Louis-Eustache Monty.

La Sainte famille. Église Saint-Paul de Grand-Mère. © François Baribault

Un exemple édifiant

Plusieurs faits, dans la vie du peintre, parlent d’eux-mêmes et pourraient être des indices en faveur de mon hypothèse voyant Monty comme un artiste résolument croyant. Tout d’abord, son amitié avec le père Frédéric Janssoone, dit le « le bon père Frédéric ». Ce prêtre franciscain, commissaire de la Terre Sainte, béatifié en 1988 et dont la canonisation serait imminente, était un prédicateur influent et très aimé. Établi à Trois-Rivières en 1888, il a animé de nombreux pèlerinages au Québec, notamment ceux du sanctuaire Notre-Dame-du-Cap dont il fait partie des fondateurs. Il est également à l’origine de l’érection de plusieurs chemins de croix, dont celui de Saint-Élie-de-Caxton. Monty a offert des peintures au père Frédéric, a travaillé au décor de chapelles pour les franciscains, et a réalisé un portrait du prêtre après sa mort. Louis et son épouse Stella avaient le privilège d’être comptés parmi les amis du saint homme[3].

La Vierge de la médaille miraculeuse. Église de La Visitation, Pointe-du-Lac.

À l’été 1911, Monty subit un grave accident alors qu’il fait une chute de plus de douze mètres dans un puits. Des notes écrites par sa fille Estelle nous renseignent sur les événements : « Il s’apprêtait à partir pour St-David-Lévis lorsqu’il eut un accident qui faillit terminer sa carrière. Après que les docteurs aient reconnu leur impuissance à le guérir, il fut transporté à l’Oratoire St-Joseph à la fin d’octobre où il y demeura jusqu’au commencement de 1912 […] »[4]. On présume que le peintre y a vu le frère André, lui-même aussi ami avec le père Frédéric. L’accident laisse finalement Monty estropié, mais il persévère tout de même dans son travail. On dit que lorsqu’il travaillait à décorer des églises, il montait les échafauds par la seule force de ses bras, ce qui ne manquait pas d’impressionner les témoins.

J’ai parlé plus haut de sa touchante rencontre avec sa future femme, et du sacrifice de son rêve parisien pour fonder une famille. Le couple semble avoir mené une existence où la foi et les arts occupaient une place importante, tout en élevant une grande famille. Ceci évoque pour moi un autre couple d’artistes croyants dont la vie et l’œuvre se situent de l’autre côté du fleuve, à une époque suivant immédiatement celle de Monty : Rodolphe Duguay et Jeanne L’Archevêque. Il serait intéressant d’en connaître davantage sur Stella McNeil, qui, elle aussi, mettait son talent au service de l’Église. Musicienne, elle était organiste et maître de chapelle (j’ignore à quel endroit). Directrice d’une école de langue anglaise, elle donnait des cours d’art, et faisait partie d’associations pieuses et patriotiques. Tout cela en étant mère de quinze enfants, c’est tout de même impressionnant!

Décédé à Montréal en 1933, Louis-Eustache Monty se range parmi les artistes les plus prolifiques durant l’apogée des décors peints au Québec, c’est-à-dire la période allant de 1900 à 1930. Les autres maîtres de l’époque sont plus renommés et leur œuvre est mieux mise en valeur; des monographies ont été écrites à leur sujet, et des sites internet leur sont consacrés. En ce qui a trait à Monty, ce travail reste à faire. Ne serait-ce que dans la région mauricienne, un « circuit Monty » pourrait être mis sur pied, un peu à la manière de ceux organisés autour de l’œuvre de Leduc. D’ici là, je vous encourage à aller voir les églises citées dans cet article, dont le but était de projeter un peu de lumière sur un créateur intéressant, inspirant et trop peu connu.

Église de Saint-Norbert (Espace culturel Jean-Pierre-Ferland)

 

[1] Véronique Bellerose, Le champ des décors polychromes dans les églises au Québec entre 1850 et 1930. Mémoire de maîtrise, avril 2019, Université du Québec à Montréal, 113 p.

[2] Paul Monty. « Louis-Eustache Monty : artiste peintre d’églises de la Mauricie ». Patrimoine trifluvien. No 20 (2013), p. 38-42.

[3] Paul Monty, idem.

[4] Idem.

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