patrimoine campanaire / Rites et traditions

Les cloches : musique céleste et langage codé

Le son des cloches d’églises était jadis d’une importance capitale : accompagnement sonore des moments forts de la vie tels que les baptêmes, les mariages et les funérailles, ce signal faisait également office de marqueur de temps, d’invitation à la messe et à la prière, et servait d’avertissement en cas de danger. Encore fallait-il comprendre le langage des cloches, ce qui était alors le cas de tous les paroissiens.

Le bourdon de la cathédrale de l’Assomption de Trois-Rivières. Photo prise en 1912. Source : Jalons : Paroisse de l’Immaculée-Conception, Trois-Rivières, 1678-1978, s.n., 1978.

Les cloches étaient habituellement sonnées par le sacristain, en tant que responsable de l’entretien de l’église et de la préparation de tout ce qui sert au culte. Vous comprendrez à la lecture de ce qui suit qu’on ne confiait pas cette tâche à n’importe qui; il était absolument nécessaire de connaître les règles de l’art, sinon on risquait de semer la confusion. On actionnait manuellement les cloches avec de grosses cordes. Dans les dernières décennies, beaucoup d’églises se sont dotées d’un mécanisme permettant de programmer les sonneries ou de faire remuer les cloches en pressant simplement des boutons, tandis que d’autres diffusent carrément un enregistrement sonore, ayant condamné leur clocher. Et dans les paroisses où des bénévoles continuent de faire sonner à l’ancienne manière, les rituels et les codes qui régissaient cet aspect du culte sont souvent oubliés ou abandonnés.

Patrimoine campanaire

Parce qu’il y a bel et bien tout un patrimoine campanaire. Ceci concerne aussi bien les cloches en tant qu’objets matériels (les techniques de fabrication, les fonderies, les caractéristiques physiques) que tous les savoir-faire, les rituels et les pratiques associés à ces instruments.

Il y a par exemple les différents types de sonneries, qui transmettent chacun un message particulier. La signification de ce message dépend de la sonorité (chaque cloche émet une note de la gamme), du moment de la journée, du nombre de coups, du rythme et du nombre de cloches actionnées simultanément ou successivement. Ainsi, lors de funérailles, on sonne le glas : si le défunt est une femme, on sonne deux coups par cloche en commençant par la plus petite, et si c’est un homme, on sonne trois coups en commençant par la plus grosse. Ceci est répété trois fois, suivi d’une volée. Si un prêtre décède, c’est neuf coups par cloche, et si c’est le pape, douze ou quinze coups, selon les sources. Un véritable code morse à apprendre pour les fidèles! Lors des événements heureux comme les mariages et les baptêmes, on sonne la volée : toutes les cloches sont actionnées en même temps. On lit souvent, dans les vieux romans, que les cloches sonnaient plus longtemps si le parrain du bébé était généreux…

Les cloches sonnent également pour annoncer la messe chantée et les vêpres du dimanche. On sonne trois fois : une heure, une demi-heure et dix ou quinze minutes avant la messe. Les absents ne peuvent pas faire comme s’ils ne le savaient pas! Il y a également une sonnerie durant le sanctus, avant la consécration du pain et du vin : les malades, les personnes âgées et les jeunes filles demeurées à la maison pour s’occuper des bébés entendent au loin le signal de ce moment solennel et s’agenouillent pour réciter leur chapelet.

La journée est aussi rythmée par l’angélus, qui sonne trois fois, soit à six heures du matin, à midi et à six heures du soir. Tout chrétien qui entend les cloches se rappelle alors que Dieu s’est incarné parmi les hommes, et accomplit son devoir de louange en récitant une belle prière qui raconte ce mystère de l’Incarnation. Avant que les horloges et les montres ne deviennent des objets répandus, l’angélus était un précieux marqueur de temps, d’autant plus qu’il coïncide souvent avec l’heure des repas. À noter que plusieurs paroisses sonnent encore l’angélus de midi et de dix-huit heures, mais plus personne n’ose sonner à six heures du matin…

En cas d’incendie, d’inondation, d’attaque et autres dangers, on sonnait jadis le tocsin :  une sonnerie répétée et prolongée à une heure inhabituelle avertissait les villageois d’une situation dramatique. Cela pouvait signifier qu’on avait besoin d’aide, ou que chacun devait prendre des dispositions pour se protéger.

Chaque cloche est unique

La cloche Marie Magdeleine, 1713.

Saviez-vous que chaque cloche a un nom? Les cloches sont même baptisées, avec un parrain et une marraine! Par exemple, une cloche de 1713 exposée au musée de la basilique Notre-Dame-du-Cap, à Cap-de-la-Madeleine, possède un acte de baptême qui se lit comme suit : « Je me nomme Marie Magdeleine : mon parrain a été Pierre Robineau, chevalier de Bécancour, grand voyer de ce pays; ma marraine, Marie Charlotte Legardeur, son épouse, 1713. »

Au temps de la Nouvelle-France, les cloches étaient coulées par des fondeurs locaux, qui se déplaçaient et exécutaient leur travail au lieu où on avait besoin de ces instruments. Mais à partir du XIXe siècle, les paroisses étant plus prospères, les églises se dotent de plusieurs cloches, et de plus en plus grosses. On préfère alors commander l’ouvrage à des fonderies européennes renommées, principalement en Angleterre et en France, telle la célèbre fonderie Paccard. Habituellement fabriquées en bronze (aussi appelé airain), les cloches sont la plupart du temps pourvues d’inscriptions gravées (dont leur nom), de divers symboles comme des crucifix, et d’ornements tels des guirlandes. Les très grosses cloches, qui produisent un son grave, sont appelées bourdons.

Entre nostalgie et agacement

Aujourd’hui, les cloches d’églises et leur clocher sont souvent la première chose menacée quand il faut s’attaquer à la restauration, la « reconversion » ou la vente d’un lieu de culte. La fragilité des clochers donne en effet bien des maux de tête aux décideurs dans ces situations, ce pourquoi on voit de plus en plus souvent des églises sans clocher, au clocher tronqué ou dont les cloches ont été retirées. La restauration des cloches en tant que telle peut être coûteuse et elle est effectuée par des spécialistes.

Nous sommes beaucoup à s’émouvoir au son des cloches. Plusieurs ressentent de la nostalgie : évocation de la vie simple et pieuse d’autrefois, rappel de l’univers rural du Québec d’antan, souvenirs de Noël… La volée de cloches fascine également par sa mélodie quelque peu étrange, comme une musique venue d’un autre monde : ce n’est pas pour rien que les cloches sont un symbole du Paradis.

Toutefois, des militants laïcistes, toujours à la recherche d’un reliquat du Québec chrétien à démolir, essaient de faire cesser cette « nuisance auditive »[1]. Pour eux, ce n’est qu’un autre bruit qui s’ajoute au vacarme urbain. Si cette tendance pourrait aller en augmentant, il semble cependant que ces individus agacés par les cloches constituent encore une minorité.

Je crois personnellement que la meilleure attitude à avoir par rapport aux cloches est celle d’un petit enfant. Quel enfant n’est pas émerveillé en entendant le bouquet exquis de sons émis par une volée de cloches, en voyant ces gros ballons de métal se balancer? Une musique céleste qui nous donne envie d’aller au ciel, pour voir les cloches de près.

 

 

[1]     https://www.tvanouvelles.ca/2019/08/16/irrites-par-les-cloches-de-leglise-1

5 Commentaires

  • ALain Dubé
    25 janvier 2023 à 20 h 39 min

    Merci pour ce magnifique texte. Ayant fait des recherches pour des animations en 3D des cloches de mon village, nous avons créé une animation en projection accompagné d’une application présentant les trois cloches de notre église St-Jacques-le Majeur à Causapscal, Vallée de la Matapédia. Les gens ont l’opportunité de découvrir plusieurs informations sur celles-ci par un jeu questionnaire sur le téléphone cellulaire. Activité vraiment apprécié pour la découverte de notre patrimoine religieux dans le cadre de notre grande projection architecturale L’Expérience Premières Mémoires projeté sur les voûtes de l’église. Merci encore pour l’info
    POur voir notre prestation: facebook : L’expérience Premières Mémoires

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  • Morin Louis-Marie
    26 janvier 2023 à 15 h 28 min

    Dans mon enfance c’était un moyen essentiel de connaître la signification des sons de cloche… on avait pas de montre, surtout les jeunes, nous étions tellement concentrés sur les bruits de cloche…..et quand c’était le Glas, nos parents devenaient attentifs et tristes que nous les enfants on savait que quelque chose de grave venait de se produire…et automatiquement on devenait sage et attentif….beaux souvenirs pour moi ….
    Merci de nous rappeler ces souvenirs…..

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  • Michael Rowan
    28 janvier 2023 à 19 h 43 min

    Article très intéressant. Personnellement, je suis expert et technicien campanaire depuis plus de quarante ans. Je pense connaître assez bien le paysage campanaire québécois. Il n’est pas mentionné dans l’article la source des informations qui nous sont données.

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  • Florica Cimpoies
    14 février 2023 à 5 h 01 min

    Je suis fascinée par le son des cloches d’église, depuis toujours… Lorsque j’ai la chance d’entendre une VOLÉE , c’est une joie immense qui me remplie, quel bonheur de pouvoir l’entendre! Dommage qu’on ne les entends plus si souvent. Merci pour cet article! Précieux!!

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