J’ai découvert l’art de Marius Dubois (décédé en 2016) l’été dernier, alors que je visitais la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Descendue au sous-sol à la recherche des toilettes, je me suis retrouvée par hasard dans la chapelle de l’Immaculée-Conception, dont les murs sont ornés de grandes fresques illustrant les saints et les bienheureux du Canada. Ils étaient tous là : Kateri, Dina Bélanger, Marie de l’Incarnation, François de Laval, Catherine de Saint-Augustin… Parmi ces peintures sublimes, entourée de mes héros préférés et de mes « amis du ciel », je me croyais au Paradis!
J’ai pris soin de noter le nom du principal auteur de ces œuvres, pour faire des recherches. Moi qui croyais que la peinture religieuse était morte de sa belle mort dans les années cinquante avec Ozias Leduc, et que la peinture figurative était un langage à peu près inconnu des artistes contemporains (sauf dans les galeries pour touristes), j’ai été bouleversée. Il faut dire que Marius Dubois est un cas assez unique dans l’art récent du Québec, à la fois par sa technique, par ses sujets, et par son talent exceptionnel.
L’art dévoile un monde invisible
Originaire de Plessisville, Dubois étudie d’abord au Séminaire de Sainte-Anne-de-Beaupré, chez les Rédemptoristes. On peut dire que cette première expérience oriente déjà en grande partie sa vision de l’art; en effet, « la somptuosité des cérémonies religieuses et des lieux de culte, observés dès son jeune âge, ont grandement influencé ses choix thématiques et formels »[1]. Comment les jeunes artistes en herbe d’aujourd’hui pourraient-ils développer une telle sensibilité, alors que l’univers du sacré leur est à peu près inaccessible (églises fermées, écoles déconfessionnalisées, ostracisation des croyants, etc.)? Marius Dubois est en quelque sorte né juste à temps pour profiter de ce trésor.
Après des études à l’École des beaux-arts de Québec, il poursuit sa formation au Hornsey College of Arts, à Londres. Là-bas, ses professeurs tenteront de le décourager de se consacrer à la peinture réaliste, une voie sans avenir selon eux. Mais Marius Dubois est un esprit libre; durant toute sa vie, il peint comme il l’entend, et tient à conserver coûte que coûte son indépendance. Installé à Sainte-Pétronille, à l’île d’Orléans, il connaît une carrière somme toute impressionnante, ponctuée de plusieurs prix prestigieux, d’expositions dans les musées, et de commandes importantes d’œuvres. Mais du grand public, il demeure peu connu. Serait-ce parce qu’il s’est tenu un peu loin des galeries? Serait-ce son mysticisme?
Car ce peintre, pour qui l’art était un moyen de montrer l’invisible, semblait appartenir à un autre monde. « Oh oui, il avait la foi…il était même mystique. Il aimait Dieu[2] », dit de lui son épouse. Soulignons que l’artiste n’a pas seulement créé des tableaux religieux, loin de là. Mais même dans ses autres productions, quelque chose de sacré transparaît : un hiératisme des personnages et des choses, une atmosphère mystérieuse, une lumière surnaturelle… Certains de ses tableaux donnent dans le surréalisme, le symbolisme, voire le futurisme. Je m’intéresse ici à sa peinture religieuse; pour une appréciation plus générale de son œuvre, je vous invite à visiter le site web qui lui est dédié : https://mariusdubois.ca/
S’approprier l’esprit des grands maîtres
Ce sont les peintres de la Renaissance italienne qui ont le plus influencé la peinture de Dubois, en particulier Raphaël, son maître favori. Ses tableaux religieux, surtout les madones, sont imprégnés de l’esprit des grands maîtres italiens, tout en démontrant une perfection technique et un souci des détails qui donnent un rendu photographique. Les tissus, les pierreries et les reflets de la lumière sont saisissants de réalisme. Ceci est observable dans ses grandes œuvres de commande des années 1980 et 1990, telle la Mater Salvatoris commandée par le gouvernement du Québec et offerte au pape Jean-Paul II lors de sa visite en 1984, mais aussi dans sa production plus récente comme les tableaux exécutés pour les Rédemptoristes de Houston, au Texas.
De 2000 à 2011, Marius Dubois a réalisé 14 tableaux de grand format pour la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré – avec son ami Pierre Lussier, auteur de quelques tableaux de l’ensemble – afin de décorer la chapelle basse de l’Immaculée-Conception. Cette série de toiles marouflées illustre les saints et les bienheureux du Canada français, la Sainte Famille, des Pères de l’Église et le Couronnement de la Vierge. L’artiste a aussi exécuté le décor de l’abside de la petite chapelle du Très-Saint-Sacrement, aménagée dans le transept sud de la basilique. Les œuvres du sanctuaire de Beaupré marquent certainement un point culminant dans la carrière du peintre, et constituent, selon moi, un jalon dans l’histoire de la peinture d’église au Québec.
Un tableau à part : Marguerite D’Youville
La basilique Notre-Dame de Montréal a aussi commandé des œuvres à Dubois. Parmi ces trois peintures, il y en a une qui semble occuper une place à part dans la production de l’artiste. Marguerite D’Youville et les pauvres, huile sur toile exécutée en 1991, donc un an après la canonisation de la sainte, montre une filiation non avec les peintres italiens de la Renaissance, mais plutôt avec les maîtres de l’École flamande. Le tableau, qui montre Marguerite et ses consœurs distribuant du pain aux pauvres dans la rue, rappelle l’univers de Brueghel par son paysage hivernal qui n’a rien d’idyllique, et par sa palette de couleur gris-brun-ocre. Les visages des pauvres, aux traits un peu grotesques, et leurs vêtements en loques font penser aux peintures de Jérôme Bosch.
Pourtant, Dubois est arrivé à créer une impression très réaliste du Montréal des miséreux au XVIIIe siècle, aux lendemains de la Conquête, quand les orphelins, les veuves, les soldats blessés, les ruinés de la guerre erraient sans nourriture ni logis. C’est une synthèse parfaite de la vie et de l’œuvre de sainte Marguerite D’Youville, sorte de mère Teresa qui a trouvé à exercer sa charité dans ce milieu difficile. Le personnage est comme une oasis de grâce et de beauté en plein milieu de cette grisaille. Fait intéressant, madame Francine Dubois, épouse de Marius, m’a raconté au téléphone qu’elle a elle-même servi de modèle pour la sainte, en posant vêtue de l’habit des Sœurs de la Charité. L’artiste avait souvent recours à cette technique, puis changeait les traits du visage par la suite. Il a d’ailleurs enseigné le dessin d’après modèle vivant au Musée national des beaux-arts du Québec, durant les années 1980.
La quête de la beauté
« Marius Dubois sera le premier […] à passer au premier rang si jamais la beauté redevient le critère en art. Car il aima la beauté et ne recula devant aucun effort pour s’en rendre digne[3]. » Or, rechercher la beauté est une manière de connaître Dieu, qui est le Beau, le Bien et le Vrai. À travers son art, Dubois paraît avoir également cherché la transcendance. Transcendant : qui s’élève au-dessus d’une limite, d’un niveau donnés; qui est au-dessus et d’une nature radicalement supérieure; qui se situe au-delà de toute expérience possible[4]. Il est en tout cas certain que le peintre a dépassé les standards du milieu artistique de son époque, et qu’il a réussi à matérialiser sa riche vie intérieure en même temps que la beauté des choses saintes. En regardant plusieurs de ses œuvres, comme par exemple l’éblouissant portrait de Dina Bélanger, le cœur se dilate, et on voudrait s’écrier : « Magnifique est le Seigneur »!
*** Sincères remerciements à madame Francine Dubois et monsieur Normand Gagnon pour les images et l’information.
[1] https://mariusdubois.ca/page_commandes/
[2] Entrevue avec Francine Dubois, veuve du peintre, à l’émission Église en Sortie (à 8 min. 54 sec.) : https://slmedia.org/fr/blogue/eglise-en-sortie-7-juin-2021
[3] Hommage à Marius Dubois rédigé par Jacques Dufresne : http://agora.qc.ca/documents/mort_du_peintre_marius_dubois
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