Patrimoine rural / Rites et traditions

Une visite chez madame Labonté*

* Afin de préserver l’anonymat de cette sympathique dame, un nom fictif lui a été donné.

L’été dernier, je me suis rendue chez madame Labonté afin de lui acheter quelques tapis fabriqués au métier à tisser. En arrivant dans la cour, on remarque une niche à la Vierge en béton, un peu défraîchie, de même qu’une autre avec une statue du Sacré-Cœur. Les deux monuments bordent l’entrée de l’érablière familiale fondée par madame Labonté et son mari, et maintenant opérée par leurs enfants et petits-enfants.

En entrant dans la maison, une délicieuse odeur de confiture aux fraises et à la rhubarbe, qui mijote dans un chaudron, me fait saliver. Pendant que la dame va chercher les tapis colorés, j’ai tout le loisir d’observer le hall d’entrée de sa maison, et surtout le petit autel qui le décore, juste à côté de la porte. Sur une table sont posées plusieurs statuettes religieuses en plâtre : le Sacré-Cœur, la Vierge Marie, saint Antoine de Padoue, peut-être d’autres que j’oublie. Sur les statues sont accrochés des chapelets, des médailles et des scapulaires (sortes de médailles ou d’images pieuses en tissu que l’on porte sous les vêtements). La table est aussi ponctuée de cierges et de cartes de prières. Au-dessus, des cadres avec des images religieuses sont suspendus, dont l’un présente une broderie où figure une invocation du genre « Seigneur, bénissez notre maison ».

« Ce sont mes derniers, après je n’en fais plus! », m’a-t-elle dit en me déroulant ses belles œuvres artisanales. Son âge avancé et ses problèmes aux jambes ne lui permettent malheureusement plus de travailler au métier. Alors que je m’extasie presque autant devant sa collection d’objets de piété que devant ses tapis chatoyants, la dame ne semble guère étonnée. Elle est visiblement fière de son petit autel; tout cela est parfaitement naturel pour elle. Ignore-t-elle qu’aux yeux du monde, ces objets ne sont que des curiosités ethnologiques, par ailleurs indéchiffrables pour les moins de soixante ans? Probablement. « Avant, à chaque année, j’allais à la Sainte Anne à Yamachiche, mais maintenant c’est rendu difficile à cause de mes jambes. » Ignore-t-elle que cette fête de sainte Anne, dont le contenu religieux est depuis longtemps accessoire, est plutôt devenue une kermesse familiale avec clowns, jeux gonflables et spectacles country? Probablement.

Madame Labonté a de la jasette. On n’a même pas besoin de la questionner pour se faire raconter plein de choses! Mais comme le temps passe vite, j’ai dû finir par arrêter notre intéressante conversation. Je suis ressortie avec deux ou trois beaux tapis sous le bras (elle a même essayé de me refiler un chat!). J’aurais peut-être dû lui demander de la confiture aux fraises, à bien y penser…

Les gens de la trempe de madame Labonté sont aujourd’hui des spécimens rares. Les personnes âgées représentent certes une bonne proportion de la population québécoise, mais les personnes âgées réellement pieuses, sont-elles si nombreuses? Je ne crois pas. Leur nombre va en décroissant, et elles sont progressivement remplacées par les baby-boomers, qui eux, ont pour la plupart mis la religion aux poubelles.

Alors qu’elles devraient être considérées comme une richesse, comme des témoins vivants de notre histoire et même comme des exemples de vie équilibrée et de santé mentale (les fervents croyants ne se suicident pas par milliers, au contraire des Québécois d’aujourd’hui), on regarde les madame Labonté de ce monde avec une tolérance pas toujours bienveillante. « Les croyances religieuses sont surtout le fait des personnes très âgées et des personnes issues de l’immigration récente », entend-on dire par les politiciens[1] pour bien marquer le fait que nous autres, les Québécois de souche d’aujourd’hui, on est rendus bien plus loin.

Les « madame Labonté » peuvent être considérées comme du patrimoine : du patrimoine vivant, mais qui s’éteint à petit feu. Et cela vaut autant pour les techniques d’artisanat transmises de génération en génération pendant des siècles, pour les recettes de confiture, que pour la foi solide comme le roc, accompagnée de ses rituels. Nos aînés auraient beaucoup à nous apprendre et à nous transmettre…si on s’intéressait un peu à eux.

 

 

[1] Ce genre d’affirmation revenait notamment dans les propos d’Éric Duhaime durant la dernière campagne électorale, chaque fois qu’on tentait de l’associer à la « droite religieuse » (comme si une telle chose existait vraiment au Québec). Il voulait montrer par là qu’il ne s’agissait pas de son électorat, et ainsi refiler le problème (les personnes pro-vie, notamment) aux autres partis.

3 Commentaires

  • Florica Cimpoies
    15 mai 2023 à 22 h 04 min

    Oui,
    Merveilleux texte et contexte!! Quel domage qu’on les ignore. Au lieu d’inviter des Drag queen dans nos écoles pour parler aux enfants, on devraient y voir des madames Labontée! Elles ont des trésors de savoir faire, de belles histoires de vie à raconter et plein de trucs comment vivre une vie saine.

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  • Élise Frigon
    24 mai 2023 à 17 h 28 min

    Quel beau texte Agathe !! Cette sympathique madame Labonté, on ne la connaît pas,
    (ou on en connaît plusieurs…) mais on s’y attache déjà par tes propos.
    Moi, je suis dans la catégorie des  »vieilles qui prient encore » et ma vie est baignée
    d’espérance. Je franchirai le voile seulement quand le Seigneur aura terminé de
     »préparer ma place ». En attendant cela, faire partie du patrimoine, ça a aussi un
    certain charme…

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