Sanctuaires et pèlerinages

Un dimanche à Kahnawake

Depuis quelques années, je m’intéresse à tout ce qui touche les Autochtones, en particulier leur relation au christianisme. Il y a longtemps que je souhaitais aller à Kahnawake, en pèlerinage au tombeau de sainte Kateri Tekakwitha. J’ai finalement tenté l’expérience un dimanche de juin, en la solennité de la Fête-Dieu (ou fête du Très Saint Sacrement). Une visite teintée de moments de grâce mais aussi de quelques déceptions, et qui m’amène à réfléchir sur le sens profond de cette mission et de ce sanctuaire.

Un cas à part 

Parmi les communautés autochtones situées au Québec, celles des Mohawks (les Kanien’keha:ka, dans leur langue), et en particulier Kahnawake, semblent occuper une place à part. D’abord, à la différence des agglomérations isolées disséminées dans la vaste forêt boréale, les villages mohawks se trouvent en milieu urbanisé, près de Montréal et de sa banlieue. Très accessibles physiquement, donc. Deuxièmement, les Mohawks utilisent l’anglais comme langue courante (j’ignore dans quelle proportion ils font usage de leur propre langue aujourd’hui); il faut dire que leur territoire ancestral chevauche le Québec, l’Ontario et l’État de New York. Troisièmement, la situation politique de cette nation, sur laquelle je ne m’étendrai pas ici, semble depuis toujours très compliquée et délicate, toujours mêlée de revendications territoriales non résolues. Ceci entraîne une attitude locale plutôt méfiante à l’égard du reste du monde, du moins si l’on se fie à ce qui est véhiculé dans les médias.

La lecture de quelques articles sur le sujet avait d’ailleurs failli me dissuader d’aller à Kahnawake, surtout en tant que catholique intéressée par l’histoire religieuse de l’endroit. Y a-t-il vraiment là-bas, encore aujourd’hui, une hostilité marquée pour le catholicisme, un mépris à peine voilé pour les Québécois, voire même pour sainte Kateri qui serait considérée par plusieurs comme une traître à sa nation? Ma visite, par une belle journée chaude et ensoleillée, m’a laissé entrevoir plus de lumière et m’a fait porter un autre regard sur ces sombres considérations.

Une mission très ancienne 

L’actuelle mission Saint-François-Xavier est bien celle, fondée par les Jésuites au XVIIe siècle, qui a accueilli sainte Kateri fuyant son village et ses persécuteurs. Il faut toutefois savoir qu’elle a été déménagée plusieurs fois pour des motifs économiques, agricoles ou politiques. D’abord établie en 1667 à La Prairie, c’est en 1716 qu’elle s’installe à Kahnawake, nom qui signifierait « aux rapides », mais qui n’a malheureusement plus de sens depuis l’aménagement de la voie maritime du Saint-Laurent et de sa digue dans les années 1950.

La guerre entre Français et Iroquois, à l’époque, ne permettant pas aux missionnaires de fonder une mission directement dans les villages mohawks, ils établirent donc cette place fortifiée dans le but de protéger, de sédentariser et de catéchiser les Autochtones (principalement Iroquois) convertis. Cette seigneurie devait leur offrir, en plus d’une église, d’un accès aux prêtres et aux sacrements, des terres agricoles à cultiver.

Les restes de Kateri Tekakwitha, morte dans cette mission en 1680, ont été conservés par les membres de sa communauté au fil des déplacements, puis placés en 1972 dans l’actuel tombeau en marbre situé dans le transept droit de l’église Saint-François-Xavier. Une partie des restes (la moitié, selon certaines sources) aurait toutefois été apportée dans d’autres établissements mohawks.

Le lien de la communauté avec ses origines françaises et catholiques est aujourd’hui peu évident, même rejeté par une majorité. Une constante demeure cependant : la mission et le sanctuaire sont encore une enclave de paix, la paix du Christ, qu’une minorité de personnes viennent chercher sous le regard rébarbatif de leur société d’appartenance. Et ce, qu’ils soient de Kahnawake, de municipalités voisines ou d’ailleurs.

La grâce accueillie dans l’humilité 

En marge des petits commerces de cigarettes qui ponctuent les rues du village, le sanctuaire accueille paroissiens et visiteurs dans une beauté humble. La petite église, un peu défraîchie, pourrait ressembler au premier coup d’œil à n’importe quelle église catholique de village; peu d’éléments nous rappellent que nous sommes dans une mission autochtone, outre les noms des stations du chemin de croix écrites en langue mohawk et quelques objets discrets placés çà et là. Le décor, qui n’est pas banal mais pas exceptionnel non plus, comprend une voûte peinte par Guido Nincheri et quelques tableaux anciens. Le tombeau de sainte Kateri, en retrait à droite, est lui-même très sobre. Le coffre de marbre présente l’inscription « Précieuse Kateri Tekakwitha » en mohawk et est orné d’une fleur de lys gravée (elle était appelée le Lys des Agniers) et d’une tortue, en référence au clan du même nom.

Comme je m’y attendais, peu de fidèles assistaient à la messe. L’assemblée, composée de quelques aînés mohawks et de gens d’origines ethniques diverses habitant la région métropolitaine, m’a cependant impressionnée par son attitude très priante. La messe était dite en anglais, sans aucun mot en mohawk, et la forme était parfaitement ordinaire, sans aucun élément d’inculturation. Rassurée au début (on voit parfois des choses bizarres quand des gens veulent « adapter » la messe), j’en étais finalement un peu déçue. Était-ce naïf de ma part de m’attendre à une expérience culturelle différente? Est-ce que je pensais comme une vulgaire touriste en m’attendant à voir des gens habillés en costumes traditionnels pour la procession du Saint-Sacrement qui a suivi? Pourtant, je continue de me dire que si on souhaite raviver l’intérêt de la communauté de Kahnawake pour ses origines catholiques et amener une véritable réconciliation entre les cultures, il serait peut-être bon d’aller puiser un peu d’inspiration chez nos premiers missionnaires (Brébeuf et ses compagnons). Ceux-ci pratiquaient vraiment l’inculturation, et désiraient ancrer le message de l’Évangile dans la culture propre du peuple qui les accueillait.

Quoi qu’il en soit, la procession du petit groupe de fidèles autour de l’église, émouvante de beauté, a révélé de façon éclatante la présence de l’Esprit Saint. Au moment où le prêtre déposait le Saint-Sacrement sur le reposoir aménagé face au fleuve, les nombreuses églises de Montréal visibles de la rive sud (dont l’Oratoire Saint-Joseph) sonnaient l’Angelus… Comme si la « ville aux cent clochers » saluait ses frères autochtones en même temps que le Corps du Christ. Tout cela rehaussé de chants, de prières, d’encens, avec la révérence touchante des personnes présentes et le paysage magnifique. Cette vue m’a remué le cœur et conforté dans mon Espérance!

Malheureusement, je n’ai pu bonifier mon pèlerinage par la visite du musée et du centre d’interprétation adjacents, fermés le dimanche (contrairement à ce qui m’avait été dit au téléphone…). Le vieux presbytère du XVIIIe siècle et ses trésors – objets liturgiques anciens, tableaux, œuvres d’artisanat autochtone, etc. -, que j’ai à peine entrevus en sortant, m’ont convaincue de revenir pour en connaître davantage.

 

Précieuse Kateri, précieux sanctuaire 

En plus de son importance en tant que lieu saint, le sanctuaire de sainte Kateri et la mission Saint-François-Xavier me semblent revêtir d’autres sens aujourd’hui. Notamment celui de lieu protégé, qui recèle des trésors (le tombeau de la sainte, le dépôt de la foi, le tabernacle, mais aussi l’héritage culturel des Mohawks) et qui protège ceux qui viennent y chercher la paix du cœur. Une mission a aussi pour but de rassembler : rassembler les convertis, tout en se faisant proche de ceux qui vivent loin du Christ ou en rejettent le message. L’endroit devrait donc être un lieu-clé pour tous ceux qui cherchent la réconciliation!

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